Le recours aux mesures exceptionnelles

Commentaire

La déclaration d’état d’urgence a été la première grande mesure prise par le chef de l’Etat à l’issue d’un conseil présidentiel consacré à la Covid-19. A ce sujet, plusieurs textes au niveau international, prévoient l’instauration de cette mesure[1], dans des circonstances exceptionnelles comme une situation d’urgence sanitaire.

Assemblée nationale _ Dakar

Toutes les garanties applicables au regard du droit international doivent cependant être respectées dans la procédure. Il s’agit notamment de la proclamation officielle de la mesure, l’information et la communication des renseignements clairs et exhaustifs sur les mesures prises et les motifs qui ont amené à les prendre.

En outre, l’état d’urgence doit être provisoire et faire l’objet d’un véritable examen, à intervalles réguliers, avant toute décision de prorogation.

Le 23 mars 2020 donc, le président de la République prend un décret[2] instaurant l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu valable sur l’étendue du territoire national, de 20 heures à 6 heures. Prévu par la Constitution pour une période initiale de 12 jours, l’état d’urgence sera renouvelé une première fois[3] avant d’être prorogé le 03 mai 2020 « pour une durée de trente jours sur l’étendue du territoire national »[4] par l’Assemblée nationale avec le vote d’une loi d’habilitation[5].

La possibilité de recourir à une loi d’habilitation est prévue par l’article 77 de la Constitution qui dispose que « l’Assemblée nationale peut habiliter par une loi le président de la République à prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Ces mesures doivent cependant être confirmées par les député.e.s par le biais d’une loi de ratification déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation sous peine de devenir caduques.

L’article 3 de cette loi d’habilitation prévoit qu’à la demande des députés, le gouvernement peut venir s’expliquer sur n’importe quelle mesure prise dans ce cadre pendant la durée de celle-ci. Ce dispositif aurait pu être mis en œuvre par les député.e.s pour obtenir des ministères concerné.e.s, des explications sur le manque de transparence évoqué dans l’attribution des marchés pour l’approvisionnement en denrées alimentaires. Il aurait pu également leur permettre d’évoquer les violences physiques qui continuent d’être exercées sur les populations par les forces de défense et de sécurité malgré les assurances fournies par les autorités.   

Des cas de violations des droits humains imputés aux forces de sécurité ont été notés dès la première nuit d’application du couvre-feu, à Dakar notamment. Plusieurs voix se sont levées, notamment au niveau des organisations de défense des droits humains, pour dénoncer « la violence exercée par les forces de défense et de sécurité contre des citoyens le 24 mars 2020[6] ».

Face aux multiples témoignages de victimes et aux enregistrements vidéo publiés sur les réseaux sociaux, les autorités policières finissent par publier un communiqué dans lequel elles reconnaissent « dans [leurs] rangs, des interventions excessives dans la nuit du mardi 24 au mercredi 25 mars 2020, qui ont été, d’ailleurs punies avec toute la rigueur qui s’impose[7] »

Ces actes de violence, bien que sporadiques, se sont poursuivies dans diverses localités du pays telles qu’à Touba, à Mbacké, et à Dakar. L’Organisation des droits humains Amnesty International Sénégal a reçu plusieurs témoignages de victimes de ces violences dans lesquelles des forces de sécurité, la police notamment, sont impliquées.

Avec l’évolution de la situation et dans la fourchette des mesures prises par le Président de la République Macky Sall lors de son adresse à la Nation le 11 mai 2020, la période du couvre-feu est réaménagée et prend effet dès 21 heures jusqu’à 5 heures. La période initiale couvrait le créneau horaire 20 heures – 6 heures.

Ces mesures restreignent considérablement la liberté de mouvement d’une partie à une autre du territoire national.


[1] Article 4 du PIDCP, Observation générale n°29 : Etats d’urgence (Article 4), 2001 doc.ONUCCPR/C/21/Rev.1/Add.11.

[2] Décret 2020-830 du 23 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sur le territoire national

[3] Décret n°2020-925 du 03 avril 2020 prorogeant l’état d’urgence sur le territoire national

[4][4] Décret 2020-1014 du 03 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sur le territoire national

[5] Loi 2020-13 du 02 mars 2020 habilitant le Président de la République à prendre par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face à la pandémie du Covid19 et autorisant la prorogation de l’état d’urgence.

[6] Communiqué de presse conjoint du 25 mars 2020 signé par Amnesty International Sénégal, la Raddho, la LSDH et Article 19 Afrique de l’Ouest.

[7] Communiqué de presse du service des relations publiques de la police, 25 mars 2020