Commerce sans souveraineté

Atlas de la PAC

L’agriculture de l’Union européenne fait partie des chaînes de valeur internationales. Elle influence les marchés agricoles mondiaux et donc aussi les prix, les productions, les revenus et l’alimentation dans les pays du Sud.

Depuis les années 1980, la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne (UE) a été critiquée pour avoir subventionné l’exportation de produits agricoles à travers le monde entier. Cette utilisation des fonds publics a contribué à l’effondrement des prix du marché mondial et au déplacement des paysans de leurs marchés locaux. Dans les années 1990, les primes à la surface, c’est-à-dire des paiements à l’hectare attribués indépendamment de ce qui est produit et de quelle manière, sont se sont imposées comme l’instrument le plus important de la PAC. Les subventions à l’exportation diminuèrent et furent interdites dans le monde entier en 2015 par une décision de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’idée que les primes à la surface ont un effet négatif sur la politique de développement des pays du Sud est controversée. La grande majorité des économistes agricoles supposent que ces primes n’influent guère la production et que l’impact international est donc minime. Néanmoins, certains modèles de calcul montrent que la production et les exportations changeraient de manière significative dans certains secteurs s’il n’y avait pas de primes à la surface. Par exemple, une étude réalisée en 2012 par le Norwegian Agricultural Economics Research Institute et l’Université de Bonn a révélé que les exportations nettes de blé de l’UE diminueraient de 20 %, celles du porc de 16 % et de la volaille de 75 %, dans la mesure où, sans les primes à la surface, le prix des céréales, et donc des aliments pour animaux, serait plus élevé. Les auteurs de l’étude considèrent que ces changements sont insignifiants. Cependant, pour les organisations de la société civile, il serait important que l’UE réduise considérablement son offre à prix faussé sur le marché mondial. Les volumes d’exportation pour le blé, le porc et le lait en particulier ont beaucoup augmenté ces dernières décennies.

Matières premières bon marché à l’import, produits à valeur ajoutée à l’export – la valeur ajoutée dans le processus de production a lieu principalement au sein de l’UE

Le continent africain est un marché important pour de nombreux produits agricoles européens. L’Afrique du Nord, qui ne peut produire que dans une mesure limitée, aurait importé à elle seule environ 40 % des exportations de blé de l’UE en 2018–2019, et ce pourcentage serait de plus d’un quart pour les pays d’Afrique sub-saharienne. Il est vrai que le blé ne peut être cultivé que dans quelques régions au sud du Sahara. Cependant, les importations font concurrence aux plantes alimentaires adaptées aux lieux, telles que le mil, le manioc, l’igname, et influent les habitudes alimentaires locales. Pour la volaille, environ 43 % des exportations totales de l’UE en 2017 étaient destinées à l’Afrique subsaharienne, principalement à l’Afrique occidentale. Si l’abolition des primes à la surface dans l’UE réduisait les exportations - comme prévu dans le modèle - la pression de l’offre dans ce secteur diminuerait et les prix sur de nombreux marchés africains pourraient augmenter. À son tour, cela encouragerait les investissements locaux, car la productivité y est encore très faible.

Les succès des exportations de l’UE ne sont pas simplement dérivés des subventions. Depuis des années, l’Union poursuit sans relâche l’objectif d’accroître la productivité de son agriculture. Et avec la stagnation des ventes dans l’UE, les surplus de production ne peuvent trouver de débouchés qu’avec une augmentation des exportations. D’un côté : des subventions pour la construction de plus grandes étables, de l’autre : le manque de régulation en matière d’environnement et de bien-être animal. La production est donc à la hausse et les prix à la production à la baisse.

 

Les exportations agricoles de l’UE ont doublé depuis 2009. Les importations ont également augmenté rapidement

Le secteur laitier est un bon cas d’étude. Depuis 2015, la limite supérieure de production (quotas laitiers) établie dans les années 1980 a été supprimée et la politique laitière de l’UE a été libéralisée. Dès lors, les laiteries de l’UE peuvent exporter de grandes quantités sur le marché mondial. Mais avec la chute des prix sur le marché mondial, en raison de la hausse de ces exportations, de nombreuses fermes laitières de l’UE ont dû mettre un terme à leur production. Si elles n’ont pas fermé, l’État les a maintenues avec des prêts d’urgence, tandis que les grandes laiteries répercutèrent la baisse des prix sur les producteurs laitiers.

Avec les subventions à l’exportation, l’UE a aboli un instrument de développement particulièrement préjudiciable. En ce qui concerne les importations de produits agricoles dans l’UE, elles sont encore principalement composées de grands classiques et d’anciens produits coloniaux tels que l’huile de palme, le soja, le cacao, le café, les bananes et le coton. Les conflits liés à l’utilisation et à la répartition des terres, ainsi que la déforestation, la gestion de la ressource en eau, l’utilisation de pesticides, tout cela a un impact négatif sur la nutrition et la santé, sur les droits humains, la justice mondiale et la durabilité. C’est le cas du soja, utilisé pour l’alimentation animale au sein de l’UE. Puisque les instruments de la PAC stimulent davantage la production de viande de porc et de poulet, cela entraîne une hausse de la demande de soja, lequel pousse en Amérique latine dans d’énormes plantations qui ont remplacé forêts et pâturages. Ce n’est que lorsque l’UE recentrera sa PAC sur un système alimentaire et agricole juste et durable, ainsi que sur l’objectif de sa propre souveraineté alimentaire, avec les quelque 40 milliards d’euros qu’elle dépense actuellement en « paiements à la surface », qu’elle contribuera aux objectifs mondiaux de développement durable.