Afrique en mouvement ou comment tordre le cou aux idées reçues sur la Migration africaine ?
Depuis plus de cinq ans, un travail de réflexions scientifiques a été initié pour tordre le cou aux idées reçues sur les migrations africaines. Ainsi, des chercheurs membres du LMI MOVIDA ont produit des données en lien avec leurs problématiques personnelles de recherche et qui ont alimenté les réflexions collectives. Des travaux sur des migrant.e.s sénégalais.e.s en Lybie, au Gabon, en Côte d'Ivoire, au Maroc, au Cap-Vert, au Cameroun ou au Congo ont notamment pu être réalisés et se retrouvent dans les résultats de ce projet.
Nombre de ces recherches ont pu mettre en évidence le fait que la migration des Africains, en particulier des Africains de l’Ouest se déroule en majorité à l’intérieur du continent.
En dépit des images et discours diffusant l’idée que les Africains se rendent prioritairement sur des territoires plus lointains, l’Europe n’a jamais été la destination principale des Africains qui migrent - encore et toujours -, pour plus des deux-tiers d'entre eux à l'intérieur du continent africain.
Dans le cadre de ce projet « l'Afrique en mouvement », une enquête spécifique a été menée afin de documenter, depuis le Sénégal, plus particulièrement à Kédougou et Dakar, aux migrations africaines au Sénégal. Cette phase de recherche de terrain a été bouleversée par la situation sanitaire internationale et aux mesures de distanciation sociale. Néanmoins, des entretiens ont pu être réalisés en présentiel auprès de membres, femmes et hommes, des communautés guinéenne, sierra-léonaise et ghanéenne à Dakar. La plupart des personnes rencontrées ont fait part de sensibilité « panafricaniste ».
Ils évoquent leurs désirs de connaître d'autres pays africains, précisant qu’« on peut se sentir mieux ailleurs que dans son propre pays » et insistant sur le fait qu’« on ne devrait pas se sentir hors-la-loi en Afrique, même dans un autre pays ». Cependant, certaines des personnes rencontrées ne peuvent pas réaliser comme elles le souhaiteraient des allers-retours fréquents entre leur lieu de vie et leur pays d'origine. La lourdeur des démarches administratives, les tracasseries aux frontières sont notamment évoquées. D'autres ne peuvent plus retourner légalement chez eux. Leurs pièces d'identité n’étant plus valables et il leur manque des documents administratifs pour en établir de nouvelles, pour refaire un passeport, par exemple.
Les ambassades et consulats ne sont pas toujours habilités à réaliser des démarches administratives à distance et des citoyens africains se retrouvent alors bloqués, sans réellement pouvoir obtenir des papiers dans leur pays d'accueil, ni dans leur pays d'origine. Quand les migrants évoquent leurs situations administratives inextricables, ils pointent alors la responsabilité « des administrations, des États qui ne font pas leur travail. On aurait dû dépasser cela depuis plus de 60 ans d'indépendance».
Des entretiens ont également été effectués auprès de migrants sénégalais vivant dans d’autres pays africains. Cette enquête, depuis le Sénégal, a pu confirmer le caractère intra-africain de ces migrations et dans le même temps éclairer les stigmatisations à l’oeuvre, à l'encontre des migrants, que ce soit par des procédures d'expulsions organisées par des Etats ou par les mouvements de xénophobie initiés par les populations. Le cas des Sénégalais vivant au Cap-Vert rend bien compte de pratiques discriminatoires à leur endroit. Certains ont pu raconter comment ils sont souvent victimes d’insultes, de vols venant des populations locales. Par ailleurs, les résultats laissent apparaître d’énormes difficultés d’obtention de titre de séjour pour les étrangers dans un pays comme le Cap-Vert. Plusieurs papiers sont exigés pour le dépôt et même étant réunis, rien n’est acquis car la demande de séjour peut être rejetée.
Autrement dit, la demande de séjour pour un Sénégalais vivant au Cap-Vert requiert de nombreux papiers justificatifs dont un contrat de travail, un acte de propriété de maison, un justificatif de paiement de taxes, un compte bancaire, un extrait du casier judiciaire qui justifie que la personne demandeuse n’a jamais commis de crime, un carnet de vaccination du pays d’origine, un autre carnet devant être obtenu au Cap-Vert, etc. Un dossier d’une douzaine de papiers est demandé alors que l’ensemble de ces papiers réunis ne signifie pas
une obtention obligatoire du titre de séjour. Des motifs d’ordre divers peuvent être évoqués pour rejeter la demande et inciter le migrant demandeur à formuler une nouvelle demande.
Outre cette enquête réalisée à Dakar, les recherches de terrain menées par Ndèye Coumba Diouf dans la zone aurifère de Kédougou, dans le cadre de sa thèse de sociologie, ont aussi permis de renseigner la situation des orpailleurs ouest-africains travaillant, vivant et circulant dans le Sud-Est du Sénégal. En présence de ressources aurifères, des hommes et femmes, ressortissants de l’Afrique de l’Ouest qui avaient préalablement une ambition d’aller plus loin, en terre européenne, préfèrent travailler dans les sites aurifères plutôt que de poursuivre un départ dans ces dits pays. Ainsi disent-ils « c’est ici notre Europe ».
D’autres orpailleurs, ayant déjà tenté l’émigration vers des pays européens, n’envisagent plus de tenter l’aventure migratoire souvent dans des conditions irrégulières avec la découverte de cette niche d’activité artisanale. Dans ce même temps, des orpailleurs n’ont même pas de projet migratoire si ce n’est dans ces pays regorgeant de ressources aurifères pour poursuivre le filon d’or. Ils continuent ainsi à circuler entre les différents sites
aurifères de l’Afrique de l’Ouest.
Plusieurs d’entre eux ont pu se professionnaliser et exercer ce métier sur le long terme. Ils emportent avec eux leurs savoirs et savoir-faire dans les différents espaces qu’ils traversent contribuant ainsi à la formation des autres orpailleurs moins qualifiés et cultivant un engouement et une envie de continuer à vivre dans ces espaces aurifères ouestafricains.
Malgré les protocoles d’accord sur le droit de circulation et d’établissement au sein de cet espace, de nombreuses tracasseries existent encore au niveau des frontières. Ces difficultés vont des paiements de droits d’entrée et de sortie à certaines formes de violences morales. Les ambassades et consulats évoquent aussi leurs incapacités à prendre en charge certaines démarches pour leurs concitoyens, même s'ils sont conscients des « vides et flous administratifs » dans lesquels ceux-ci peuvent se trouver. Ces démarches sont notamment le renouvellement de papiers d'identités tels que des passeports ou cartes d'identités nationales, l'édition d'extraits de naissance. Aussi, le rapatriement des fonds et des corps des émigrés ou la défense dans les lieux de détention peuvent mobiliser les institutions consulaires dans leurs rôles vis à vis de leurs concitoyens.
Ce projet intitulé « Afrique en mouvement », s'inscrit pleinement dans la volonté des chercheurs partie prenante de MOVIDA et des responsables de la fondation Heinrich Boll de revenir sur les fausses évidences circulant sur les migrations africaines. En 2017-2018, des premières cartes postales ont été confectionnées au format papier dans le cadre du LMI MOVIDA, pour apporter des contre-arguments scientifiques aux idées reçues sur les migrations africaines. L'idée de ce projet était tout d’abord de « mettre en son » la carte postale intitulée « les routes de la migration africaine mènent rarement en Europe » ( https://movida.hypotheses.org/4338 ).
L'écriture radiophonique tout comme la traduction en plusieurs langues nous ont conduit à synthétiser au maximum le propos. Il s’agit d’interpeller, de donner envie d'aller plus loin et d’approfondir ces réflexions autour des migrations intra-africaines et des blocages à la libre circulation. Des ateliers seront organisés avec des parlementaires et journalistes sénégalais avec pour objectif d'approfondir les connaissances et discussions sur ces problématiques. En parallèle, une variété de moyens de diffusion (podcasts sur internet, campagne par whatsapp et réseaux sociaux, radios locales) sera mise en place pour que ces productions sonores soient entendues auprès d’un public le plus large possible.
Heinrich Böll Stiftung, bureau Sénégal, a financé et accompagné une production en langue wolof, pulaar et français. Réalisé par le studio Ëpoukay à Dakar projet de janvier à novembre 2020 avec l'appui de l'Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), ce travail collectif s'est appuyé sur plus de 5 ans de productions du Laboratoire Mixte International de recherche MOVIDA (Mobilités, Voyages, Innovations et Dynamiques dans les Afriques méditerranéenne et subsaharienne) rattaché à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
ECOUTER LES CARTES POSTALES SONORES sur notre plateforme SOUNDCLOUD