Commentaires sur le nouveau pacte sur la migration et l’asile de la Commission européenne.

Commentaire

Ni le gouvernement sénégalais ni les médias n’ont réagi à la publication du nouveau pacte sur les migrations et l’asile. Toutefois, l’étroite coopération avec FRONTEX reste préoccupante.

Image migration Sénégal

Comment ce nouveau pacte a-t-il été accueilli au Sénégal? Quelle est la réaction du gouvernement et de l’opposition ?

Pendant la période de présentation du nouveau pacte sur la migration et l’asile de la Commission européenne, aucune position officielle n’a été exprimée par les autorités sénégalaises. La question n’a pas été traitée dans les canaux diplomatiques officiels. Les autorités sénégalaises n’ont pas encore fait de sortie publique pour réagir sur le nouveau pacte. On peut penser qu’elles attendent d’avoir une notification officielle pour réagir publiquement sur le nouveau pacte et, aborder plus spécifiquement les conséquences qu’il entraînera notamment sur l’émigration « irrégulière ».

Les différentes réactions du Sénégal dans le passé face à certaines initiatives de l’Union européenne en matière de migration nous amènent à penser que l’État sénégalais continuera de privilégier une posture « avenante » vis-à-vis des choix de l’Union européenne. Le Sénégal a souvent été dans une position qu’on pourrait assimiler à une attitude de « collaborateur conciliant » avec l’Union européenne sur les enjeux migratoires. Les pouvoirs publics sénégalais ont souvent privilégié une démarche consistant à monnayer leurs engagements face aux choix migratoires de l’Union européenne. Cela se traduit concrètement par un soutien jamais désintéressé en faveur des politiques de plus en plus restrictives adoptées par l’Union européenne en matière de migration et d’asile.

Par ailleurs, le contexte d’asymétrie dans les relations entre l’Union européenne et le Sénégal permet à l’Union européenne d’enchâsser dans ses programmes d’aide au développement des conditionnalités qui lui permettent ainsi d’imposer ses choix en matière de contrôle hors de ses frontières de la migration dite « irrégulière ». C’est par ce mécanisme que l’Union européenne est jusqu’ici arrivée à peser sur la gouvernance de la migration au Sénégal.

Le nouveau pacte sur la migration et l’asile viendra certainement renforcer l’externalisation des politiques migratoires européennes à travers un contrôle en amont des flux. Le Sénégal, en tant que pays de départ et de transit, sera certainement encore une fois ciblé pour mettre en place des stratégies de dissuasion de l’émigration « irrégulière ». Le « nouveau partenariat avec les pays d’origine » qui est un élément central du nouveau pacte risque d’être le mécanisme à travers lequel l’Union européenne va imposer des obligations dans le domaine migratoire aux pays africains comme le Sénégal.

Quel est le discours dans les médias ?

Les médias sénégalais sont globalement restés muets sur le nouveau pacte sur la migration et l’asile. Pendant toute la semaine précédant la présentation du nouveau pacte et celle ayant suivi, nous avons scruté régulièrement les journaux sénégalais pour retrouver des articles consacrés au nouveau pacte. Mais, jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé des articles proposant d’analyser le nouveau pacte et d’aborder ses conséquences sur la migration des Sénégalais.es en Europe.

Il faut reconnaître que les médias sénégalais ont toujours été dans une posture fondée sur un traitement sensationnaliste des questions migratoires. Il y a très peu d’articles de fond sur des enjeux migratoires, souvent faute de moyens, de ressources humaines qualifiées et d’un intérêt du public pour cette thématique. Pour ce qui est des enjeux migratoires internationaux, la plupart des articles sont fondés sur la reprise des dépêches des agences de presse et, pour ce qui est des enjeux internes, on note plutôt une focalisation sur des faits divers impliquant des migrant.es ou des candidat.es à la migration (drames humanitaires, arrestation de passeurs de « migrants.es irréguliers », etc.).

Nous avons procédé à un monitoring des journaux de la presse écrite sénégalaise les plus lus (Le Soleil, L’Obs, Le Quotidien, Sud et Walf Quotidien) pendant la période où le nouveau pacte sur la migration et l’asile a été présenté (du 21 au 30 septembre 2020) et aucun article n’a porté sur le nouveau pacte et sur ses conséquences sur la condition des migrants et des demandeurs d’asile en Europe. Les rares articles ont plus portés sur le prolongement de l’interdiction d’entrée dans l’Union européenne pour les Sénégalais.es en raison de la crise sanitaire de la COVID-19.

Les articles portant sur le fait migratoire dans la deuxième quinzaine du mois de septembre révèlent surtout la crainte des médias d’une recrudescence de l’émigration « irrégulière » en raison des conséquences désastreuses de la COVID-19. Certains médias se sont faits l’écho de l’amplification de la crise économique du fait de la COVID-19. Ce qui risque, selon eux, de précipiter de nombreux jeunes sur les routes de l’émigration « clandestine ». Les tentatives de départ de pirogues remplies de candidats.es à l’émigration « clandestine » à partir des côtes sénégalaises dans la semaine où le nouveau pacte européen a été présenté donnent une assise solide aux craintes de la presse sénégalaise.

Et la société civile, comment discute-t-elle la proposition ?

Certaines organisations de la société civile sénégalaise actives sur les questions migratoires ont été alertées par leurs partenaires européens. Certaines organisations ont été mises au courant de la présentation du nouveau pacte et de ses conséquences pour les pays du Sud, surtout ceux africains. Les organisations de défense des réfugiés et de soutien aux migrants mais aussi certaines ONG européennes ont échangé par e-mail avec leurs partenaires sénégalais pour leur parler des changements apportés par le nouveau pacte, mais aussi pour recueillir leurs avis sur les orientations qui sont y présentes.

La société civile voit globalement à travers le nouveau pacte un durcissement supplémentaire des politiques migratoires européennes et un verrouillage plus serré des frontières de l’Union européenne. Certaines organisations craignent plus de tragédies humanitaires à l’intérieur de l’espace européen car elles estiment que la nouvelle proposition va davantage affaiblir les mécanismes de protection des migrants.es et des demandeurs d’asile.

Le Sénégal présente le triple statut de pays de départ, de transit et de destination de migrants.es. Il a une longue tradition d’accueil de réfugiés en raison, entre autres, de sa stabilité politique et de l’installation de nombreuses organisations internationales de protection des réfugiés. Certains réfugiés faisaient de leur installation au Sénégal comme une première étape devant les conduire plus tard à effectuer une demande d’asile dans les pays de l’Union européenne. L’entrée en vigueur des lois proposées dans le nouveau pacte risque ainsi d’affecter la situation de ces personnes se trouvant au Sénégal puisque ce pays est considéré comme étant un pays d’origine sûr et stable.

L’Union européenne possède, à travers ses instruments de coopération (aide bilatérale, aide multilatérale, coopération économique et technique, etc.), des moyens d’imposer ses choix dans le domaine migratoire. Ainsi, on a vu comment le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne lui a permis d’utiliser son aide au développement au service de ses politiques migratoires. Avec le nouveau pacte sur la migration et l’asile, l’Union européenne continuera de s’inscrire dans la même dynamique qui lui permet de faire de son appui budgétaire un moyen pour atteindre ses objectifs en matière de politique migratoire.

Le durcissement des conditions d’entrée risque de générer la prise de plus de risques pour les candidats.es à l’émigration « irrégulière ». Les conséquences désastreuses de la COVID-19, aux plans économique et social, risquent d’amplifier le phénomène de l’émigration « irrégulière », malgré les nombreuses entraves que l’Union européenne continue d’ériger dans les pays d’origine (rôle dévolu à l’agence FRONTEX) et autour de ses frontières.

Le renforcement de l’agence FRONTEX comme « bras opérationnel » de la politique de rapatriement de l’Union européenne proposé par le nouveau pacte pourrait davantage conforter l’opération « Hera ». Mise en œuvre depuis 2006, « Hera » est la première mission de surveillance des côtes de l’agence européenne. Seule mission maritime de FRONTEX sur le territoire d’un pays tiers, à savoir le Sénégal, « Hera » est actuellement mise en œuvre par l’Espagne et le Portugal. Le rapatriement étant une priorité du nouveau pacte de la migration et de l’asile, on peut craindre que cette coopération de longue date entre le gouvernement du Sénégal et l’agence FRONTEX ainsi que le fait que le Sénégal soit un pays respectant globalement les droits humains et ayant adhéré au principe de non-refoulement (selon lequel des réfugiés ne doivent pas être renvoyés dans un pays qu’ils avaient fui) ne soit renforcée. On peut ainsi présumer qu’il y aurait tôt ou tard un accord (status agreement) entre le Sénégal et FRONTEX permettant à l’agence d’amener des migrants.es interceptés.es dans les eaux atlantiques au Sénégal[1].

Quels aspects devraient être inclus ou changés ?

Une des revendications les plus importantes en matière migratoire du point de vue du Sénégal reste le renforcement de voies légales de migration vers l’Europe ainsi que la facilitation de la migration circulaire. Cet aspect n’est pas négligé dans le nouveau pacte mais figure parmi les derniers points du document. Ceci illustre très bien les positions et intérêts divergents de l’Union européenne et du Sénégal. Malgré le fait que le nouveau pacte souligne, dans son introduction, que « migration has been a constant feature of human history with a profound impact on European society, its economy and its culture », c’est-à-dire que la migration est quelque chose de tout à fait humain et normal, la focalisation du document politique reste sur comment peut-on arrêter, voire bloquer la migration des personnes vers l’Union européenne.

En terme de recommandations, du point de vue du Sénégal :

  • Renverser la répartition : moins de focalisation sur la restriction de la migration et plus d’emphase sur les opportunités de la migration et surtout sur les opportunités que l’Union européenne peut donner aux migrants.es, par exemple, par des programmes de formation professionnelle dans l’Union européenne dans des secteurs clés pour les pays d’origine ;
  • Impliquer la diaspora : dans le document, la diaspora n’est mentionnée que quatre (04) fois ; pourtant c’est avec ces acteur.trices même qu’il faudrait développer et mettre en œuvre toute politique de migration ;
  • Faciliter la migration légale et circulaire pour lutter contre l’émigration « irrégulière » au lieu de fermer les frontières – ce qui force les gens à emprunter des voies plus dangereuses au lieu d’arrêter le phénomène ;
  • Bâtir la coopération entre pays de départ et d’accueil sur une approche de la migration fondée sur les droits humains. Cette dernière place le/la migrant.e au centre des politiques migratoires et de la gouvernance, et veille à ce que les migrants.es soient inclus dans tous les plans d’action et stratégies nationaux pertinents. A ce niveau, les Etats africains ont un rôle à jouer dans la formulation et la proposition de politiques migratoires adaptées aux besoins nationaux des pays de l’Union européenne.
 

[1] Cet accord était déjà revendiqué dans le rapport “Annual report on the implementation of Regulation (EU) 656/2014 of the European Parliament and of the Council of 15 May 2014 establishing rules for the surveillance of the external sea borders in the context of operational cooperation coordinated by Frontex” de 2018, publié en février 2020 (https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6294-2020-INIT/en/pdf)