La crise sanitaire mondiale liée à la COVID-19 s’accompagne d’ores et déjà de graves conséquences économiques pour l’Afrique. Les sociétés sont dans la tourmente et les économies sont en chute libre. L’agence onusienne[1] justifie cette forte baisse par l’impact de la pandémie sur le commerce mondial et ses répercussions pour les économies africaines. Au Sénégal, les autorités ont pris beaucoup de mesures pour faire face à la crise sanitaire dont les impacts sur l’économie se font déjà sentir, notamment sur le secteur informel prédominant dans l’économie du pays. Nous nous sommes entretenu.e.s avec un expert pour en savoir davantage.
Quel regard portez-vous sur la crise économique que va engendrer la COVID-19 pour des pays comme le Sénégal ? Quels sont les principaux risques ?
Le virus, de par sa rapidité et sa violence, a mis l’économie sénégalaise en confinement depuis le mois de mars 2020. Comme l’activité économique est portée à plus de 97% par le secteur informel qui est dans l’économie immédiate, alors le fait de respecter le mot d’ordre « restez chez vous » ralentit la production nationale. L’absence d’activités est ressentie par le commerçant, le salon de coiffure, le taximan, le musicien, l’artiste, le couturier. Et la quasi-totalité de ces entreprenants sont dans le secteur informel. Au vu de la situation actuelle dans le monde, marquée par un repli des Etats les plus développés, l’Afrique doit développer une stratégie globale de sortie de crise sur le plan économique comme sanitaire. Dès lors, il devient nécessaire de se pencher sérieusement sur les solutions et les perspectives, parce que l’après-crise peut être plus terrible pour nos économies si extraverties et vulnérables. Plus la crise tire en longueur, plus l’outil de production sera endommagé, plus la reprise sera difficile.
Beaucoup d’entreprises qui travaillent dans le transport aérien, le tourisme, l’hôtellerie, la culture, l’artisanat, les agences de voyages, l’évènementiel, les métiers connexes iront en faillite par faute d’activités. Donc, nous attendons une hausse vertigineuse de la pauvreté après la crise. L’autorité doit commencer à réfléchir maintenant sur l’économie post-COVID.
En quoi cette crise sanitaire et économique mondiale pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour le Sénégal ?
La pandémie a stimulé la créativité du peuple sénégalais. A l’école polytechnique de Thiès, des étudiant.e.s ont commencé à fabriquer des prototypes de respirateur artificiel, à la faculté de médecine les étudiant.e.s se sont mis.e.s à la production de gels antibactériens, les couturier.e.s sont dans la fabrication de masques lavables, etc. L’Etat doit capitaliser toutes ces énergies positives pour l’économie post-Covid. Il est aussi nécessaire de reposer la consommation locale et rendre nos entreprises compétitives, dynamiser les chaînes de valeur sous régionale pour, au-delà de la sécurité alimentaire et sanitaire, chercher une souveraineté alimentaire et sanitaire.
L'Afrique doit arrêter de penser que la première chose à faire en temps de crise, c’est de demander l’aide des pays développés ou des institutions financières internationales.
Jadis, les pays du Nord avaient la solution et les pays du Sud avaient les problèmes, aujourd’hui on assiste à un changement brusque et profond du monde. Le virus a mis les pays du Nord à genoux et ceux du Sud résistent jusqu’à présent, alors faisons appel à l’Afrique pour aider l’Afrique.
Le continent doit redéfinir ses relations avec le reste du monde, une relation basée sur un partenariat inclusif et bénéfique pour chaque partie.
Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur les limites dans la gouvernance de cette crise du Sénégal ?
On constate un certain comportement mimétique de nos gouvernants vis-à-vis de la France. A chaque fois que les autorités françaises prennent une décision (fermeture des écoles, couvre-feu, etc.), les autorités sénégalaises reprennent les mêmes mesures.
Or, nous luttons contre le même ennemi mais à des niveaux de gravité différents. On constate aussi que les décisions des autorités régionales et départementales (gouverneurs, préfets) méritent une harmonisation.
En période de crise, l’ouverture restreinte (2 à 3 fois par semaine) des marchés ou leur fermeture pose problème. Les ménages ont besoin de consommer et les commerçant.e.s ont besoin de vendre, surtout ceux qui sont dans l’informel qui n’ont pas de protection sociale. Les autorités doivent transformer tous les grands espaces et stades en marchés aux normes COVID-19 (distanciation physique) afin de permettre aux consommateur.rice.s de pouvoir effectuer leurs opérations avec moins de risques et redémarrer l’activité économique. S’y ajoutent les polémiques autour du marché de l’aide alimentaire, une stratégie inopérante qui pose problème aux règles des marchés publics et de la bonne gouvernance.
Quelle appréciation faîtes-vous de la mobilisation des 1 000 milliards CFA du fonds COVID-19 ?
Les 1000 milliards de FCFA du fonds Force COVID-19 représentent 10% du PIB et 25% du budget national, la dette publique va allègrement augmenter. Mais en période de guerre, nécessité fait loi. Les mesures sont pertinentes pour soutenir l’économie formelle. Le secteur privé va recevoir sur ce fonds 657.6 milliards de FCFA, l’Etat gardera 178 milliards de FCFA pour couvrir ses pertes de recettes, les couches les plus vulnérables vont recevoir 100 milliards de FCFA et le secteur de la santé 64.4 milliards de FCFA. Malheureusement ces mesures ne sont valables qu’à court terme (maximum 40 jours). Donc pour sauver l’économie d’une manière générale, il faudra sortir rapidement de la crise pour redémarrer l’activité, il n’y a pas d’autres issus.
Quelle leçon le Sénégal doit-il en tirer ?
Sur les 1000 milliards de FCFA du fonds de solidarité Force COVID-19, il n’y a pas de filet pour sécuriser le secteur informel. Sur 16 millions d’habitant.e.s, il y a moins de 400.000 salarié.e.s (public et privé) et plus de 97% des entreprenants au Sénégal qui sont dans l’informel. Je pense qu'à pareil moment la grandeur de l’Etat se mesure par l’inclusivité de ses plans de soutien. C’est vrai que l’informel ne paye pas d’impôts directs, mais paye des impôts indirects, et c’est pourquoi il est nécessaire de soutenir toutes les couches de la population en relançant la consommation qui va stimuler la demande pour sauver les unités de production des Sénégalais.e.s et des étranger.e.ss qui vivent parmi nous.
Après la crise de la COVID-19, le relèvement doit ouvrir la voie à quel type d’économie ? Autrement dit, que faudrait-il mettre en avant pour réinventer la marche économique du monde en vue d'une nouvelle culture mettant en avant un développement humain durable ?
Une économie qui met l’humain au centre de ses préoccupations. A chaque fois que le monde subit une crise économique violente, on note dans les premières années après la crise un abandon de la vision libérale au profit du keynésianisme, c’est à dire une intervention rigoureuse de l’Etat pour relancer l’activité économique. Le monde a besoin d’une économie sociale, solidaire et inclusive; mise au service de l’humain. La crise a montré la vulnérabilité des économies africaines qui exportent des produits primaires et importent des produits finis. Donc, elle nous enseigne que nos économies doivent être plus productives et transformatrices. Aujourd’hui, la mondialisation apparait comme une chance pour les pays développés et une menace pour les pays en développement où les coûts de production sont très élevés. Mais après la crise, une nouvelle économie s’impose, basée sur un partenariat gagnant- gagnant entre les pays développés et les pays en développement dans le respect de l’environnement et l’amélioration de la qualité de vie des citoyen.ne.s de tous les pays.
Quels seraient les acteurs et actrices à davantage associer à la préparation et la mise en œuvre de ce changement ?
Les peuples encore les peuples toujours les peuples, qui doivent être associés à la prise de décision. Les organisations de la société civile doivent assumer leur rôle dans la formation des peuples et l’éveil des citoyen.ne.s, et suivre la mise en œuvre les décisions publiques. A la fin de la crise, s’il n’y a pas de contrepouvoir, les dirigeants recommenceront leur concurrences pures et imparfaites pour l’humanité. Il faut coacher les peuples afin qu’ils soient plus exigeants avec les autorités.