Une autre vision du monde

Tribune

La solidarité internationale, la lutte en faveur d’un ordre mondial plus juste, la nécessité de penser la démocratie à l’échelle mondiale dans ses rapports avec la justice sociale et écologique: les Verts ont eu dès le début une vision du monde jusque-alors inconnue et qui façonne encore aujourd’hui leur travail et celui de la Fondation Heinrich Böll.

Le mouvement

La création du parti écologiste est étroitement liée au bouleversement sociopolitique des années 1970. Sans les mouvements pour la paix, l’écologie, les femmes et le Tiers-monde, il n’y aurait probablement pas eu de nouveau parti. Leurs impulsions programmatiques ont été notamment alimentées par le mouvement écologiste et pacifiste.
Il est remarquable de constater l’importance majeure que revêtent la politique étrangère et la coopération Nord-Sud dès le premier programme fédéral du parti en 1980.

Dans le préambule, il est dit : « (...) que nous nous opposons à l’occupation des États et à l’oppression des groupes ethniques, et que nous prônons l’indépendance et l’autodétermination des peuples dans tous les États. La paix est indissociable (...) de l’existence des droits démocratiques ». Ainsi, l’orientation fondamentale du parti était déjà définie.

Le désarmement mondial, la non-violence, les droits humains ainsi que le droit des peuples à l’autodétermination ont constitué le noyau programmatique des Verts dès le début. Le principe primordial était que les objectifs humains ne peuvent être atteints par des moyens inhumains. Le parti s’est engagé à mener une politique de paix active.

Les contradictions et les objectifs contradictoires qui en ont découlé sont apparus clairement au cours des premières années qui ont suivi la fondation du parti. Les questions relatives à la non-violence et à la légitimité de la résistance armée (« Des armes pour le Salvador ») ont fait l’objet de vives controverses à maintes reprises. Elles ont débouché sur des discussions houleuses au sujet des interventions militaires dans les Balkans et en Afghanistan, dans le cadre de la participation des Verts au gouvernement.

Lorsque le parti est entré au Bundestag en 1983, l’ordre mondial s’est maintenu tel qu’il était apparu après la Seconde Guerre mondiale. D’un côté, l’hégémonie des États-Unis et les institutions nouvellement créées de l’OTAN aux organisations financières et commerciales. De l’autre, Moscou en tant que deuxième centre dans le conflit Est-Ouest et la Guerre froide.

Dans les années 1980 et 1990, les Verts ont soutenu les nombreux mouvements de libération et d’émancipation ainsi que les groupes de solidarité respectifs qui s’étaient constitués autour des luttes contre les dictatures militaires en Amérique centrale et latine, contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, ou autour des guerres par procuration et des guerres civiles au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie:

« Chaque fois qu’une injustice s’est produite quelque part dans le monde et que la population touchée et les groupes de solidarité internationale l’ont dénoncée publiquement, il y a eu toujours un.e député.e des Verts qui a soulevé ce problème au moins dans une petite requête adressée au parlement fédéral. »1

La volonté d’être le bras parlementaire du mouvement, le défenseur des faibles, donnant la parole aux opprimé.e.s – a été célébrée en particulier par diverses initiatives parlementaires, avec des voyages et des actions spectaculaires de la part des membres et des député.e.s du parti écologiste.

Outre la solidarité avec les mouvements d’émancipation - il y avait même un fonds de solidarité en faveur des pays du Tiers-monde, financé par les régimes parlementaires - un second volet thématique s’est rapidement imposé : la lutte contre un ordre mondial injuste qui détruit l’environnement, crée des inégalités sociales et des asymétries politiques entre le Nord et le Sud.

"Affiche Les Verts : "AIDE - Tant que notre aide au développement aide notre industrie plus que la 3ème guerre mondiale notre prospérité est fondée sur la faim des autres"..

Les structures et les conditions-cadres de l’économie mondiale étaient au centre des préoccupations: la question était de savoir si elles entravent ou favorisent le développement social et démocratique dans les pays en développement et les pays émergents. Quelles sont les conditions structurelles préalables en vue d’instaurer l’équité dans le monde et de sortir de la pauvreté ?

Les Verts n’ont cessé de remettre en question la politique classique de développement.

Parce qu’elle a elle aussi été instrumentalisée pour des intérêts politiques et économiques extérieurs durant la Guerre froide et, de fait - contrairement à ce qui était prétendu - elle n’a pas du tout profité aux populations les plus démunies.

Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale, qui ont imposé des programmes d’ajustement structurel néolibéraux à l’Amérique latine et à l’Afrique au cours des crises de la dette, ont été fortement critiqués. Ce faisant, ils ont renforcé les nouvelles dépendances politiques et économiques du Sud par rapport au Nord, conduit de nombreuses personnes à la pauvreté et accéléré la destruction écologique.

La réforme radicale des organisations de Washington a donc été l’une des principales revendications d’une vaste campagne internationale, dont les manifestations à l’occasion de l’assemblée annuelle de la Banque mondiale et du FMI qui eurent lieu à Berlin en 1988, furent le point culminant. Par ailleurs, les causes structurelles de la déforestation des régions tropicales, c’est-à-dire nos besoins en viande et en bois, mais aussi les projets d’infrastructure, comme la construction de grands barrages, étaient au centre des préoccupations de nombreuses initiatives vertes.
Ces dernières ont également porté sur les premiers signes du changement climatique, à savoir la couche d’ozone et l’effet de serre.

L’aide publique au développement, comme le revendique le mouvement, doit avant tout être comprise comme une politique structurelle globale.

Les projets progressistes et solidaires devraient également promouvoir les avancées démocratiques dans les pays en développement. Le parti et le groupe parlementaire des Verts ont été un moteur clé et une composante essentielle de ces campagnes internationales. Ils ont donc très tôt fait partie des critiques de la mondialisation qui, avec ses dogmes de libéralisation, de déréglementation, de privatisation et de l’intégration maximale de l’économie dans le marché mondial, a tout au plus renforcé les élites politiques et économiques des pays en développement - au lieu de soutenir et de promouvoir la démocratie, les droits humains et le développement social.

En plus de critiquer le FMI et la Banque mondiale, ils ont surtout développé des concepts de réforme en faveur d’un ordre mondial plus juste ainsi que d’une meilleure politique commerciale et des marchés financiers.

« Vers une économie mondiale solidaire » : c’était à la fin des années 80 un concept programmatique orienté vers l’avenir et engagé en faveur d’un ordre mondial socio-écologique plus juste.

L’accent est mis sur les liens étroits qui unissent la transformation de la société industrielle et la réorganisation des structures économiques, dans le but de créer pour tous les habitants de notre planète un avenir fondé sur des moyens de subsistance écologiques, mais aussi de promouvoir la paix, un développement socialement juste, le respect des droits humains et la démocratie.

Cette vision du monde était jusqu’alors plutôt inconnue. Cette perspective ainsi que les principes directeurs de l’imbrication des questions démocratiques, sociales et écologiques à l’échelle mondiale façonnent encore aujourd’hui le programme de l’Alliance 90/les Verts, et en particulier le travail de la Fondation Heinrich Böll, qui étend son réseau mondial depuis sa création en 1996, et qui se bat avec de nombreux partenaires dans le monde entier pour une vie meilleure pour toutes et tous.


Littérature:

1 Pour une analyse approfondie des 20 premières années de la politique étrangère, de paix et de coopération Nord-Sud des Verts, se reporter à : Ludger Volmer (1998), Les Verts et la politique étrangère - une relation difficile, Münster.