Vers une souveraineté énergétique au Sénégal: Quelle place pour la jeunesse dans un contexte de dépendance extérieure persistante?

Jeunesse et Transition énergétique

Alors que les effets des changements climatiques s’intensifient et que les inégalités d’accès à l’énergie persistent, la question de la souveraineté énergétique s’impose dans le débat public sénégalais. Le gouvernement sénégalais affiche sa volonté de maitriser les ressources nationales notamment à travers l’exploitation du pétrole et du gaz récemment découverts. Pourtant, sur le terrain, la dépendance technologique, financière et politique demeure forte, et les bénéfices attendus tardent à se matérialiser pour la population. Dans ce contexte, quelle place accorde-t-on à la jeunesse sénégalaise, pourtant concernée au premier plan par les enjeux de demain ? Forte de son dynamisme, de ses engagements et de ses initiatives locales, la jeunesse sénégalaise propose un autre modèle : celui d’une transition énergétique juste, inclusive et centrée sur les besoins des communautés. Comment, dès lors, permettre à cette jeunesse d’être actrice à part entière d’une souveraineté énergétique encore à construire ?

 

La souveraineté énergétique : un objectif national à clarifier

[1]La souveraineté énergétique, entendue comme la capacité à produire, gérer et distribuer une énergie suffisante pour répondre aux besoins de sa population, est aujourd’hui revendiquée par l’État sénégalais. L’exploitation des ressources offshore — notamment les champs de Sangomar et du Grand Tortue Ahmeyim (GTA) — ainsi que le développement des énergies renouvelables illustrent cette volonté de maîtrise stratégique.

Pourtant, un examen attentif montre que cette souveraineté est pour l’instant surtout théorique. Malgré les ambitions en faveur d’une transition énergétique juste, le Sénégal fait face à de nombreux obstacles. [2]Il ne bénéficiera pas directement de la première phase du gaz offshore, principalement destinée à l'exportation, sans retombée immédiate pour les ménages. 

 La participation de PETROSEN à l'exploitation des ressources pétrolières et gazières du Sénégal est effectivement encore marginale et limite la maîtrise nationale des ressources. Actuellement, PETROSEN détient environ 10% de participation dans les projets majeurs comme le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et est coproducteur à hauteur de 18% dans le bloc pétrolier Sangomar, où la majorité des parties (82%) est détenue par la société australienne Woodside Energy. Cette participation minoritaire a entraîné une captation limitée des revenus pétroliers par l'État sénégalais, qui reçoit une part restreinte du total généré. Par exemple, sur les 1,8 milliards de dollars de revenus générés par Sangomar en un an, seulement 400 millions sont perçus par le Sénégal.

Le Directeur Général de PETROSEN, Alioune Guèye, a exprimé clairement cette problématique, soulignant que cette partie marginale de propriété historique n'est plus acceptable et que l'objectif avec des projets comme Yakaar-Teranga est d'augmenter la participation nationale, voire de faire de PETROSEN un opérateur majeur capable de maîtriser entièrement la chaîne de valeur gazière et pétrolière. Le projet Yakaar-Teranga, par exemple, vise à renforcer la souveraineté énergétique du pays avec une participation citoyenne et nationale plus accumulée dans le financement et la gestion des ressources.

Cette situation révèle une contradiction majeure : les ressources appartiennent au peuple sénégalais, mais leur appropriation est sous forte influence étrangère. De surcroît, les revenus escomptés sont soumis à la volatilité des marchés mondiaux, ce qui introduit plusieurs risques :

Premièrement, les revenus sont destinés à créer des fonds de stabilisation et intergénérationnels, afin de limiter l'impact des fluctuations sur le budget national, mais ces mécanismes comportent des risques tels qu'une mauvaise gestion, une dépendance excessive aux revenus pétroliers, et une fuite qui peut nuire à leur efficacité.

[3]Deuxièmement, les prévisions montrent que ces hydrocarbures pourraient ne contribuer qu’à moins de 1 à 3 % du PIB dans un premier temps, avec des revenus modestes attendus jusqu’en 2027 .
Dans ce contexte, l’argument gouvernemental selon lequel l’exploitation des ressources fossiles génèrera d’importantes retombées financières pour l’État mérite d’être nuancé. Les projections actuelles montrent que, bien que ces ressources puissent soutenir la croissance économique sur quelques années — avec un impact positif modeste sur le budget — leur rentabilité à long terme dépendra fortement de l’évolution des marchés mondiaux et de la capacité du Sénégal à diversifier son économie et protéger ses finances publiques.

Des obstacles structurels encore trop puissants

Au-delà de la question du gaz, la dépendance énergétique du Sénégal reste très profonde. Le pays importe toujours une grande partie de son énergie et de ses équipements techniques, d'installations et de technologies nécessaires pour produire, transporter et distribuer cette énergie. Le coût de l’électricité figure parmi les plus élevés de la région, affectant aussi bien les ménages que les entreprises. En septembre 2024, le prix moyen de l’électricité pour les ménages était de 109,39 FCFA/kWh, supérieur à la moyenne mondiale de 96 FCFA/kWh (0,160 USD/kWh). À cela s’ajoutent des difficultés liées à la gouvernance : des contrats signés dans l’opacité, une faible transparence dans la gestion des revenus énergétiques, et un manque de concertation publique. Des initiatives citoyennes, comme celle du Collectif pour le recouvrement des avoirs pétroliers et miniers du Sénégal, ont émergé pour exiger plus de transparence dans les contrats pétroliers et gaziers.. ce collectif combat les accords opaques avec des multinationales et réclame l'annulation des contrats déséquilibrés. Le collectif œuvre [4]Au-delà de la question du gaz, la dépendance énergétique du Sénégal reste très profonde. difficultés liées à la gouvernance : des contrats signés dans l’opacité, une faible transparence dans la gestion des revenus énergétiques, et un manque de concertation publique. Des initiatives citoyennes, comme celle du Collectif pour le recouvrement des avoirs pétroliers et miniers du Sénégal, ont émergé pour exiger plus de transparence dans les contrats pétroliers et gaziers.. ce collectif combat les accords opaques avec des multinationales et réclame l'annulation des contrats déséquilibrés. Le collectif œuvre pour récupérer les avoirs spoliés et renégocier les termes des contrats en faveur des intérêts nationaux. Il milite pour une participation citoyenne accrue dans la gestion des ressources énergétiques. Enfin, il lutte contre la corruption sectorielle en demandant des enquêtes sur les conflits d'intérêts et en mobilisant la communauté internationale. Le président Bassirou Diomaye Faye a lancé un audit complet du secteur extractif et mis en place une commission chargée d'examiner et de renégocier les contrats pétroliers et gaziers jugés déséquilibrés. Depuis sa création en août 2024, cette commission pluridisciplinaire a entamé un examen minutieux des clauses clés des principaux contrats, notamment ceux des champs de Sangomar (Woodside Energy) et Grand Tortue Ahmeyim (BP-Kosmos), en se focalisant sur les aspects fiscaux et les parts de revenus revenant à l'État. Bien que les négociations se déroulent à huis clos, le gouvernement a promis plus de transparence en s'engageant à publier les conclusions et à collaborer avec l'ITIE.

L'enjeu est de taille : trouver le juste équilibre entre une meilleure répartition des revenus pour l'État sénégalais et le maintien d'un climat favorable aux investissements. Les prochains mois seront cruciaux, avec la publication attendue des résultats d'audit et les premières décisions concrètes de renégociation qui montreront si le Sénégal parvient à tirer pleinement profit de ses ressources naturelles tout en respectant ses engagements internationaux. Le succès de cette initiative pourrait servir de modèle pour d'autres pays africains confrontés aux mêmes défis de gouvernance dans le secteur extractif.

La jeunesse sénégalaise : entre lucidité et engagement 

Face à ces défis majeurs — notamment la dépendance aux énergies fossiles, la faible part des renouvelables, les obstacles à une transition énergétique juste, et les revenus limités de l'exportation pétrolière peu redistribués —, la jeunesse sénégalaise refuse de rester spectatrice. Cette dernière s'intéresse activement aux questions énergétiques, à la fois pour des raisons pragmatiques et idéalistes. En effet, confrontés au chômage massif, de nombreux jeunes considèrent les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique comme de réelles opportunités d'emplois et d'entrepreneuriat, comme en témoigne l'essor des startups solaires et des projets d'électrification rurale au Sénégal. Mais leur engagement va bien au-delà de la simple survie économique : il s'agit également d'une quête de justice sociale. Les jeunes dénoncent les inégalités d'accès à l'électricité ainsi que l'opacité de certains contrats pétroliers, exigeant que les ressources naturelles profitent véritablement à toute la population. Cet engagement se manifeste notamment à travers le militantisme de collectifs tels que Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP) Sénégal, qui œuvrent pour plus de transparence dans la gestion des ressources.

Cette mobilisation puise également dans des ressorts culturels profonds. La notion de "liggeeyou ndeye" (travailler pour honorer sa famille) pousse les jeunes à innover, tandis qu'une conscience écologique grandissante les incite à promouvoir des solutions durables face à l'urgence climatique. Enfin, cet engagement énergétique traduit une aspiration politique : exclus des sphères de décision malgré leur poids démographique (75% de la population), les jeunes réclament une place à la table des négociations, comme en témoignent les demandes du Conseil National de la Jeunesse pour une représentation accrue dans les instances énergétiques. Ainsi, entre nécessité économique et volonté de changer la société, la jeunesse sénégalaise fait de la transition énergétique un combat multidimensionnel pour son avenir.

Pour une souveraineté énergétique inclusive et durable

La construction d'une véritable souveraineté énergétique au Sénégal passe par des actions concrètes et coordonnées. D'abord, une transparence radicale doit s'appliquer aux contrats pétroliers et gaziers, avec la publication intégrale des clauses et bénéficiaires réels, et la création d'un mécanisme de contrôle citoyen via l'ITIE. [5]La coopération régionale, notamment à travers le West African Power Pool (WAPP), offre au Sénégal des opportunités cruciales en mutualisant les infrastructures et en particulier les coûts énergétiques. Par ailleurs, le pays pourrait s'inspirer d'exemples sud-sud réussis, tels que le programme solaire marocain Noor, les microgrids rwandais ou l'approche intégrée du Costa Rica, qui démontrent l'efficacité de solutions adaptées aux réalités locales. En parallèle, le développement de plateformes associant universités, startups et artisans locaux permet de concevoir des solutions innovantes, comme des kits solaires ou des unités de biogaz, répondant aux besoins spécifiques des territoires. Cette stratégie multidimensionnelle – combinant transparence, financements innovants, coopération régionale et innovation locale – contribuerait à bâtir une véritable indépendance énergétique pour le Sénégal, tout en créant des emplois et en protégeant l'environnement. En 2025, le Sénégal bénéficie déjà de projets majeurs soutenus par le WAPP, notamment l'injection récente de 127 MW dans le réseau de la Société nationale d'électricité du Sénégal (Senelec) via la centrale thermique à cycle combiné de Rufisque. Ce projet, réalisé avec des partenaires financiers importants, représente environ 25% de la capacité installée du pays et renforce la stabilité ainsi que la souveraineté énergétique nationale dans le cadre du Pacte National pour l'Énergie.

Une opportunité à saisir, un cap à corriger

Le Sénégal se trouve à un moment charnière de son histoire énergétique. L'exploitation récente des ressources fossiles, notamment le gaz naturel offshore, ouvre des perspectives inédites pour renforcer la souveraineté énergétique du pays. Cette opportunité permettra d'augmenter les recettes publiques, de réduire la dépendance énergétique extérieure et de soutenir la transition vers des sources plus durables. La mise en service de projets tels que la centrale thermique à cycle combiné de Rufisque, avec une injection de 127 MW dans le réseau national – représentant près de 25% de la capacité installée – illustre déjà un pas significatif vers une plus grande autonomie énergétique, soutenue par la coopération régionale via le West African Power Pool (WAPP).

Cependant, ce cap prometteur nécessite des ajustements pour éviter que cette ouverture ne se transforme en une nouvelle forme de dépendance ou d'exclusion sociale. Plusieurs défis restent à relever :

-Accélérer le développement des énergies renouvelables afin de diversifier les sources d'approvisionnement et de réduire la vulnérabilité aux fluctuations des marchés mondiaux des hydrocarbures.

-Garantir une gouvernance transparente et rigoureuse, notamment par la publication intégrale des contrats pétroliers et gaziers, accompagné d'audits indépendants, pour lutter contre la corruption et assurer que les ressources profitent à toute la population.

-Rééquilibrer les relations contractuelles avec les multinationales, en s'inspirant des bonnes pratiques internationales tout en apprenant des expériences mitigées de certains pays voisins.

-Promouvoir une justice sociale efficace en particulier les inégalités d'accès à l'électricité et en veillant à une redistribution équitable des richesses issues des ressources énergétiques.

Dans ce contexte, la jeunesse sénégalaise apparaît comme une force indispensable pour transformer cette opportunité en moteur de changement durable. Innovante, dynamique et concernée par les enjeux environnementaux et sociaux, elle aspire à une implication concrète dans la gouvernance énergétique. Lui réserver une place significative dans les instances décisionnelles, comme par exemple 30% des sièges dans les organes de pilotage, ainsi que créer des incubateurs nationaux pour soutenir les startups et entrepreneurs locaux, sont des leviers clés pour intégrer l'énergie de cette jeune au cœur de la transformation du secteur.

Par ailleurs, la jeunesse incarne une promesse d'innovation technologique et sociale à travers le développement de solutions adaptées au contexte sénégalais, notamment dans les énergies renouvelables distribuées (kits solaires, biogaz, micro-réseaux). Elle est aussi un vecteur essentiel de vigilance citoyenne, sollicitant transparence et équité, ce qui contribue à limiter les dérives potentielles des projets énergétiques.

Ainsi, saisir cette opportunité implique une double démarche : consolider les acquis et les projets en cours tout en corrigeant les cap dans la gouvernance, la diversification énergétique et l'inclusion sociale. Le Sénégal ne peut se permettre de laisser filer cette chance, mais il doit le faire en construisant un modèle énergétique réellement souverain, équitable et tourné vers l'avenir, avec la jeunesse comme acteur central.

 


 


[1]https://apnews.com/article/senegal-offshore-oil-production-woodside-energy-0f5e5336ef4595b66caa1d57bb4156d7

                                         

[2] https://lequotidien.sn/exploitation-petroliere-au-senegal-des-millions-dans-les-coffres-de-letat-mais-ou-sont-les-benefices-pour-les-senegalais/

https://africapetromine.com/senegal-gaz-petrosen-se-positionne-pour-developper-yakaar-teranga/