La régulation des plateformes numériques et la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest
La régulation des plateformes numériques et la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest
- Introduction
Les pays africains ont de plus en plus accès à Internet haut débit, les questions liées à la neutralité de l’internet, à la régulation et à l’interopérabilité adéquate se posent, il est nécessaire de veiller à ce que les citoyens puissent exercer librement leurs droits. C’est dans ce cadre que la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique prévoit que : « aucun individu ne doit faire l’objet d’une ingérence arbitraire à sa liberté d’expression. Toute restriction à la liberté d’expression doit être imposée par la loi, servir un objectif légitime et être nécessaire dans une société démocratique ».
Moyens de communication, les plateformes sont des tribunes publiques qui permettent à tout un chacun de publier des contenus et de les partager avec d’autres utilisateurs. Les réseaux sociaux ont révolutionné l’industrie des médias et les modes de communication en offrant aux citoyens un support d’expression directe.
Pour le Conseil National du Numérique de la France, la plateforme est «un service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou biens, le plus souvent édités ou fournis par des tiers. Ces services d’accès organisent et hiérarchisent les contenus en vue de leur présentation et de la mise en relation des utilisateurs finaux ».
En tant qu’intermédiaires, les plateformes numériques peuvent mettre en relation, faciliter l’accès à l’information, à la liberté d’expression et de communication. Ce qui fait que la force des plateformes tient en grande partie à leur capacité à multiplier les flux d’informations collectées auprès de leurs utilisateurs.
Ainsi, l’expansion d’Internet en Afrique de l’Ouest a engendré une croissance exponentielle des possibilités de s’exprimer mais aussi le lieu où prolifèrent les contenus haineux, racistes, antisémites, les atteintes aux données personnelles à la vie privée, les fausses nouvelles, la désinformation et de manipulation de l’information.
L’ensemble de ces abus ont un impact décisif sur les droits et libertés des utilisateurs d’Internet comme la liberté d’expression et communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, par la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique, par la Déclaration Africaine des Droits et Libertés de Internet, par la Déclaration des droits sur Internet.
Au surplus, la liberté d’expression est consacrée majoritairement par les constitutions des Etats, et ils ont même tenté de l’adapté au contexte numérique.
L’article 10 de la Constitution du Sénégal consacre très fortement la liberté d’expression. Il en de même de l’article 5 de la loi 2008 portant loi d’orientation sur la Société de l’Information et de la loi 2011 portant Code des Télécommunications qui a mis en exergue les principaux aspects de la régulation des télécommunications, notamment la concurrence, l’interconnexion, l’accès au service universel, les ressources rares et la tarification, du Code de la presse de 2017 et du nouveau Code sur les communications électroniques à travers la loi 2018.
La Constitution béninoise consacre la liberté d’expression en son article 23. Va dans le même sens la Loi 2017 portant Code du numérique en République du Bénin. Il importe de noter que la République du Bénin à l’instar des autres Etats de l’Afrique de l’Ouest est le premier Etat à procéder à la mise en place d’un véritable Code, qui réunit l’ensemble des dispositions légales applicables à tous les aspects juridiques des activités numériques.
L’article 4 de la Constitution 1992 de la République du Mali garantie la liberté d’expression ; en Côte d’Ivoire, ce sont les articles 9 et 10 de la Constitution 2016 et l’article 7 de la Constitution de la Guinée ont consacré tous la liberté d’expression comme un droit fondamental dans leur droit interne.
Méthodologie et plan de l’étude
L’étude de la régulation des plateformes numériques et la liberté d’expression cherche à dénoncer les atteintes de la liberté d’expression en Afrique de l’ouest, la limitation du droit d’accès à l’information afin d’amener les autorités et décideurs à prendre la pleine conscience des enjeux de la régulation des plateformes sur la liberté d’expression.
Par ailleurs, n’est-il pas possible d’envisager une régulation des plateformes en ligne respectueuse des droits et libertés fondamentaux.
La politique de réglementation des plateformes en ligne doit nécessairement s’orienté vers la satisfaction des besoins de la population africaine d’une part et d’autre part, à l’accès à un internet abordable, de qualité et pour tous, respecter les droits numériques tels que la liberté d’expression et d’opinion sur internet, la vie privée, les données personnelles.
La méthodologie qui a été adoptée pour cette étude comprend essentiellement la recherche documentaire et de données disponibles auprès des bibliothèques, des centres de documentation. Nous sommes partis également vers des praticiens, experts membres de la société civile et organisations nationales, sous régionales spécialisées en la matière.
Ce travail scientifique est le résultat d’une étude sur : « la régulation des plateformes numériques et la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest », afin de permettre un plaidoyer pour le respect des libertés individuelles, notamment la liberté de s’exprimer librement dans l’espace numérique.
En outre, cette étude vise à mettre en évidence l’impact de la régulation des plateformes sur la liberté d’expression. Pour ce faire, elle présente la régulation des plateformes comme une politique attentatoire à la liberté d’expression, décrit la neutralité des plateformes dans la circulation des informations comme une garantie du principe de liberté d’expression, analyse la nécessité d’équilibrer la régulation et le respect de la liberté d’expression, d’impliquer les organisations sous régionales et régionales dans la lutte contre la désinformation en ligne et formule des recommandations à l’endroit des parties prenantes concernées pour garantir une régulation dans le respect des droits et libertés des citoyens africain.
- Régulation des plateformes : une politique attentatoire à la liberté d’expression
Certains Etats africains dans le cadre de la régulation des plateformes ont tendance à porter atteinte à la liberté d’expression à travers des coupures d’Internet. Motivées en grande partie par des préoccupations politiques, les coupures d'Internet ordonnées par les Etats sont sur le point de devenir la « nouvelle normalité ». Pire encore, il y a des Etats qui utilisent le procédé de blocage de l'accès à Internet en ordonnant aux fournisseurs de services Internet d'en limiter l'accès à leurs abonnés, voir même la provocation volontaire de pannes partielles ou totales d'Internet.
Si nous prenons le cas du Benin, en pleine élections législatives, les autorités béninoises ont coupé l’internet. Cette décision arbitraire est une censure pour museler la liberté d’expression et restreindre le droit d’accès du public à l’information en pleine élections législatives. Et pourtant l’accès à internet favorise la transparence et le débat public, il permet à tous les acteurs d’avoir des informations instantanées et directes surtout en périodes électorales. De plus, Article19 de l’ Afrique de l’Ouest rappelle qu’en novembre 2016, la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a adopté une résolution sur le droit à la liberté d’information et d’expression pour l’internet en Afrique, exprimant sa préoccupation face à « une pratique émergente des États d’interrompre ou de limiter l’accès aux services de télécommunication tels qu’internet, les médias sociaux et les services de messagerie, pratique de plus en plus courante durant les élections ».
En outre, on note en Afrique de l’Ouest des arrestations, emprisonnements arbitraires, harcèlement contre l'opposition, la société civile et les médias critiqués pour citer les atteintes à la liberté d'expression en Côte d'Ivoire. C’est dans ce cadre que François PATUEL, chercheur en l'Afrique de l'Ouest à Amnesty International déclarait que : « L'usage de lois répressives pour écraser le droit à la liberté d'expression se traduit par la détention arbitraire de très nombreux citoyens ».
Au surplus, selon l’Observatoire de l’UNESCO des journalistes assassinés, de 2000 à 2019, 177 journalistes ont été assassinés en Afrique, dont 22 cas en Afrique de l’Ouest parmi lesquels seuls trois ont été résolus. De manière générale, plus de 800 journalistes dans le monde ont été victimes d’abus ou mortellement agressés durant la dernière décennie dans le cadre de l’exercice de leur fonction : celle de rendre l’information publique. Une forme de censure violente contre des hommes et des femmes ainsi privés de leur liberté d’expression.
Sur la même lancée, le gouvernement guinéen a coupé l’accès à l’internet mobile depuis le 23 octobre 2020. Cette censure intervient alors que le Président en exercice vient d’être déclaré vainqueur de l’élection présidentielle. Ce n’est pas la première fois qu’il agit de la sorte. Le 22 mars dernier, l’accès internet avait aussi été coupé durant plus de 24 h à la veille du référendum constitutionnel. Quoi qu’il en soit, la lutte contre les discours haineux en ligne ne doit pas servir à renforcer la censure.
L’Etat du Mali a connu plusieurs coupures d’internet. Le 16 août 2016, pour la première fois, les réseaux Facebook et Twitter deviennent inaccessibles suite aux manifestations qui ont lieu pour la libération du chroniqueur Youssouf Mohamed Bathily dit « Ras Bath » interpellé par la justice pour « outrage envers les dépositaires de l’autorité publique ». De même, l’internet a été perturbé à la veille du premier tour des élections présidentielles du 29 juillet 2018 ; alors que maliens avaient le plus besoin d’échanger, de s’informer et se mobiliser pour les élections, Facebook et Twitter sont suspendus. C’est pour ces raisons que Julie Owono, Directrice exécutive de l’ONG Internet Sans Frontières, soutenait qu’: « Au Mali, l’accès à l’information, et en particulier à Internet en période électorale est un critère important pour évaluer la transparence, la crédibilité et la sincérité du vote. C’est la première fois de son histoire que le Mali se coupe totalement du réseau Internet. Nous regrettons que le Mali choisisse de ne pas respecter le droit international qui protège la liberté d’expression. C’est un droit civique important en période électorale ».
De plus, il faut noter que la loi 2019 portant Répression de la Cybercriminalité au Mali, bien qu’opportune et pertinente, certaines de ses dispositions constituent des menaces potentielles à la vie privée et la liberté d’expression en ligne, en particulier, compte tenu des défaillances démocratiques du Mali et de son faible classement en matière de liberté de la presse.
Au Sénégal, les restrictions de la liberté d’expression sont généralement d’ordre législatif.
A cet effet, le dernier paragraphe de l’article 27 du Code des communications électroniques de 2018 dispose : « l’autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour, notamment, préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires ». Cette disposition confère à l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes des pouvoirs exorbitants, c’est à elle d’autoriser ou d’imposer et même de réguler l’usage des TIC. Plus encore, elle donne à l’ARTP et aux opérateurs, le pouvoir de bloquer, ralentir, filtrer ou encore surveiller l’accès à WhatsApp, Messenger, Skype et aux autres applications téléphoniques en ligne pour préserver les intérêts des opérateurs de téléphonie mobile au détriment de ceux des utilisateurs sénégalais.
On note également des cas d’arrestations au Sénégal. A titre illustratif, l’affaire de l’activiste Guy Marius Sagna, et du journaliste Adama Gaye poursuivie par le Procureur de la République près le tribunal de Grande instance de Dakar pour offense au chef de l’État, diffusion de fausses nouvelles, propos indécents. Ces restrictions de la liberté des citoyens, par le régime en place, semblent limiter la liberté d’expression.
Les raisons qui militent en faveur de cette forme de restriction de la liberté d’expression et d’information en Afrique de l’Ouest dans les pays où la censure est intervenue sont diverses, soit pour restreindre la capacité des manifestants à s’organiser, soit pour éviter la propagation de la désinformation en période électorale, et soit pour lutter contre les fausses nouvelles. Quelle qu’en soit la raison, cette tentative de régulation porte atteinte à la liberté d’expression car l’accès à Internet est aujourd’hui reconnu comme étant un droit fondamental.
Au contraire, si les gouvernants de l’Afrique de l’Ouest n’avaient pas peur des critiques, des vérités crues et des débats contradictoires, les réseaux sociaux leurs auraient servi d’outils d’amélioration de la gouvernance étatique.
- La neutralité des plateformes : une garantie du principe de liberté d’expression
L’internet est un réseau neutre. Ce caractère implique que «tout utilisateur doit être techniquement capable de communiquer avec tout autre et d’échanger tout type de contenu».
Partant de là, « Le principe de neutralité doit être reconnu comme un principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication». D’où l’importance de consacrer le principe de neutralité des plateformes. Ce principe garantit la liberté d’expression, d'échange, d'accès aux données et contenus, et liberté de concurrence.
En faisant référence à l’article 4 de la Déclaration des droits sur l’Internet « Toute personne a droit à ce que les données qu’elle transmet et reçoit sur Internet ne subissent aucune discrimination, restriction ou interférence en ce qui concerne l’expéditeur, le destinataire, le type ou le contenu des données, le dispositif utilisé, les applications ou, en général, les choix légitimes des personnes. Le droit d’accès neutre à Internet dans sa totalité est la condition nécessaire pour que les droits fondamentaux de la personne aient un caractère effectif ». L’article 12 de la même Déclaration est relatif aux Droits et garanties des personnes sur les plateformes. Il en découle que les responsables des plateformes numériques sont tenus de se comporter avec loyauté et correction à l’égard des usagers, des fournisseurs et des concurrents.
C’est dans cette optique que le législateur sénégalais a consacré le principe de neutralité technologique dans l’article 10 de la loi de 2018 portant Code des communications électroniques.
Compte tenu de cette réglementation, les responsables de plateforme doivent, en outre, assurer aux utilisateurs des conditions optimales de confidentialité et de neutralité du service au regard des messages transmis et de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel. Ils doivent également garantir à l’ensemble des utilisateurs un accès libre, transparent et non discriminatoire à l’ensemble des contenus et applications sur les réseaux et sur l’internet : la liberté et la qualité dans l’accès à l’internet, la non-discrimination des flux.
Il importe de noter que les plateformes numériques ne sont pas des espaces de non-droit. Par leur qualité d’intermédiaires et leur place dans le paysage numérique, le prestataire technique peut voir sa responsabilité pénale engagé du fait des contenus illicites, lorsqu’il outrepasse son rôle de transporteur d’informations ; c’est-à-dire lorsqu’il sort de son obligation de neutralité vis-à-vis de ces contenus et des destinataires de ses services.
- La nécessité de concilier les exigences de la régulation des plateformes et le respect de la liberté d’expression
La liberté d’expression est un pilier fondamental dans une société démocratique. Cependant, la liberté d'expression n'est pas totale, elle peut être encadrée par les lois et règlements en vigueurs.
Etant donné que les réseaux électroniques comme Internet sont devenus de véritables moyens de communication permettant avec une extrême rapidité de diffuser à l’échelle mondiale des idées, des sentiments, des opinions de toutes sortes. Les nombreux forums e discussion organisés dans les sites d’information sont souvent une occasion de propager des messages illicites ou attentatoires à l’honneur et à la dignité des personnes. Il s’agit notamment de cas de diffamation, d’injures, de diffusion de fausses nouvelles, d’offense au chef de l’État. Les abus peuvent être également des propos appelant à la haine, à l'apologie de crimes contre l'humanité, des propos antisémites, racistes.
Internet, espace de liberté par essence favorisant l’intervention d’internautes amateurs, dans le cadre d’une logique interactive et dynamique, a favorisé une intensification des abus à la liberté de la presse. De plus, les possibilités offertes par les services des plateformes suscitent des abus inacceptables de la part d’individus isolés ou de groupes organisés auxquels les grands réseaux sociaux, Facebook, YouTube, Twitter, Snap ou TikTok pour ne citer qu’eux, les acteurs n’apportent pas de réponse pleinement satisfaisante.
Il doit donc être opéré un équilibre entre la réglementation et l’exercice des droits et libertés fondamentaux. C’est le principe de proportionnalité.
Dans un Etat démocratique, la régulation a pour finalité de concilier la sécurité, et la liberté. L’Etat doit assurer la sécurité de ses citoyens par la répression des infractions. Dans le même temps, il se doit de protéger la liberté des individus, y compris des utilisateurs de réseaux internet.
On peut dire que les exigences de la régulation des plateformes en ligne et la garantie de la liberté d’expression sont conciliables en tant que « poids » d’une même balance. Ces notions peuvent cependant être envisagées comme deux mouvements non pas opposés, mais œuvrant alternativement l’un pour l’autre : la régulation pour une meilleure protection de la liberté d’expression et inversement, le respect de la liberté pour un encadrement efficace.
- La lutte contre la désinformation en ligne, la solution pour une approche multilatérale de régulation
Face à la montée de la désinformation en ligne et des discours de haine, une régulation à dimension multilatérale est opportune. Etant donné que le problème de la haine en ligne et de la désinformation n’a pas de frontière, et touche tous les pays, légiférer au niveau national, communautaire, européen ou même à l’échelle mondiale est d’importance capitale.
En outre, le dilemme potentiel entre la nécessité d'une réglementation pour lutter contre les discours de haine et la désinformation et le fait que les gouvernements utilisent cette réglementation pour restreindre la liberté d'expression, seule une réglementation régionale ou globale peut résoudre le problème. D’où la nécessité d’impliquer l'Union Africaine, les Nations Unies, la CEDEAO, l’Union Européenne dans la lutte contre la désinformation.
Relativement à l’Union européenne, elle est déterminée à protéger les sociétés, les citoyens et les libertés contre les menaces hybrides, notamment les actes de mésinformation et de désinformation. Pour se faire, la Commission a proposé une ambitieuse réforme de l'espace numérique, un ensemble complet de nouvelles règles qui s'appliqueront à tous les services numériques, notamment les médias sociaux, les places de marché en ligne et d'autres plateformes en lignes actives dans l'Union européenne. Il importe de noter que les nouvelles règles permettront de mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux en ligne et rendront les marchés numériques plus équitables et plus ouverts pour chacun. De plus, la législation sur les services numériques et la législation sur les marchés numériques constituent la réponse européenne au processus de réflexion approfondie dans lequel la Commission, les États membres de l'UE et de nombreux autres pays se sont engagés ces dernières années pour comprendre les effets de la transformation numérique et plus spécifiquement des plateformes en ligne sur les droits fondamentaux, la concurrence et, plus généralement, sur nos sociétés et nos économies.
Par ailleurs, les démocraties du monde entier sont confrontées à une prolifération de fausses informations, qui peuvent avoir le potentiel de déstabiliser leurs institutions démocratiques et de miner la confiance des citoyens. Dans l’optique de lutter contre la désinformation en ligne, l’UE a lancé le plan d’action pour la démocratie européenne. Ce plan d’action prône pour une démocratie saine et prospère, les citoyens peuvent librement exprimer leurs points de vue, choisir leurs dirigeants politiques et avoir leur mot à dire sur leur avenir.
Le plan d'action pour la démocratie européenne est conçu pour autonomiser les citoyens et construire des démocraties plus résilientes dans toute l'UE : promouvoir des élections libres et équitables ; renforcer la liberté des médias et contrer la désinformation.
Le plan d'action pour la démocratie européenne garantit la liberté d'expression et le droit des personnes d'accéder au contenu juridique.
A cet effet, pour intensifier la lutte contre la désinformation, la Commission s’engage à : améliorer la boîte à outils existante de l'UE pour lutter contre les ingérences étrangères dans notre espace d'information, y compris de nouveaux instruments qui permettent d'imposer des coûts aux auteurs ; orienter les efforts pour refondre le Code de bonnes pratiques sur la désinformation en un cadre coréglementaire d'obligations et de responsabilité des plateformes en ligne et publier des orientations pour améliorer le code de bonnes pratiques au printemps 2021 et mettre en place un cadre plus solide pour le suivi de sa mise en œuvre.
Pour rappel, le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation a été adopté, en octobre 2018. Les plateformes de réseaux sociaux, sociétés et associations ont adhéré au code de pratique d'autorégulation pour lutter contre la propagation de la désinformation en ligne et des fausses nouvelles : Google, Facebook, Twitter, Microsoft, Mozilla et TikTok. Ils ont pris des mesures à l’égard des comptes qui ont pour objectif de propager des éléments de désinformation. A titre illustratif, Twitter a suspendu plus de 3,4 millions de comptes suspects ciblant les débats sur le coronavirus. De même, Facebook a annoncé avoir démantelé un réseau de désinformation, « lié à la Russie », opérant dans certains pays africains. 35 comptes, 53 pages et sept groupes, ainsi que cinq comptes Instagram responsables de campagnes visant plusieurs pays du continent, auraient été fermées par Facebook. Ce réseau tentait notamment d’influencer l’opinion en Côte d'Ivoire, en RDC, au Cameroun, à Madagascar, au Mozambique, en Centrafrique, au Soudan et en Libye.
En outre, en mai 2016, la Commission de l’UE a mis en place, avec l’aide de quatre géants du web (Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube), un code de conduite visant à réduire la prolifération des discours de haine sur internet. L’importance de ce code repose sur la responsabilisation des plateformes en ligne qui suppriment, sur la base des signalements de leurs utilisateurs, les contenus qu’elles jugent illicites dans un délai de 24 heures.
Dans le même ordre d’idée, la loi française du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « loi Avia », remis en cause par le Conseil constitutionnel, mais dont certaines dispositions seront conservées telles que la création d'un parquet spécialisé, et d'un observatoire de la haine en ligne.
L’ONU n’est pas en reste dans la lutte contre la désinformation, l’organisation a lancé l’Opération « Verified », qui a pour but de lutter contre la désinformation sur le coronavirus. Elle estime que les fausses informations entravent la réponse à la pandémie et provoquent des troubles.
La désinformation en ligne est un facteur de déstabilisation de la démocratie à l’ère du numérique et surtout en période électorale. En guise d’exemple à quelques jours de l’élection présidentielle américaine, les fausses informations liées au vote et à la sécurité des élections prospèrent sur Facebook, malgré les promesses de la plateforme de limiter ce genre de contenus. C’est grâce à l’organisation NewsGuard, qui a développé une extension de navigateur Internet qui permet d’analyser la fiabilité des sources d’information a identifié 40 pages Facebook qui constituent des « super diffuseurs » de désinformation sur les élections américaines.
Malgré les efforts annoncés par le patron de Facebook Mark Zuckerberg pour endiguer la propagation de la mésinformation sur les élections, ces pages continuent à publier des informations profondément fausses sur le vote et le processus électoral américain, explique Newsguard.
Ainsi donc, il est évident que la solution face à la problématique de la liberté d’expression dans les réseaux sociaux serait logiquement l’implication des organisations sous régionales, régionales, des géants du net et de la presse en ligne.
Une régulation efficace tourne autour de 4 secteurs clés à savoir les contenus violents et haineux, l’intégrité des élections, la protection de la vie privée et la portabilité des données écrit Marc Zuckerberg.
- Conclusion
Cette étude nous a permis de constater que la liberté d’expression est un principe fondamental. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par les lois et règlements.
L’étude a révélé que les restrictions à la liberté d’expression dans le cadre de la régulation des plateformes sont d’origine législative ou émane de la volonté des pouvoirs publics. Les Etats ont tendance à porter atteinte à la liberté d’expression à travers des coupures d’Internet, des arrestations, des blocages d’accès à internet. Ces méthodes de régulation utilisées par les dirigeants peuvent subséquemment nuire aux droits et libertés des citoyens. D’où la nécessité d’adopter en Afrique l’approche réglementaire de l'UE, qui garantit les droits des utilisateurs d’internet.
- Recommandations
- Les Etats de l’Afrique de l’Ouest doivent faire de telle sorte que la régulation soit efficace pour la lutte contre les contenus haineux, les atteintes à la vie privée et l’intégrité des élections.
- Les Etats de l’Afrique de l’Ouest doivent mettre en place une politique publique de régulation des plateformes numériques qui garantit les libertés individuelles et la liberté d’expression sur internet.
- Les gouvernements doivent privilégier toutes les options de non-coupures, de non arrestation et de non blocage en recherchant les meilleurs pratiques pour résoudre les problèmes de la régulation. Le dialogue entre les Etats et les utilisateurs de plateformes de réseaux sociaux pourrait apporter des solutions qui reposent sur l’amélioration de la gouvernance étatique.
- Les responsables de plateformes doivent toujours se conformer au principe de neutralité afin de respecter la liberté d’expression, d’assurer aux utilisateurs des conditions optimales de confidentialité, l’accès libre, transparent sur les réseaux.
- La régulation des plateformes numériques implique, en règle générale, une nécessite de la part des régulateurs de constater et d’analyser avant de décider de la sanction des dérives du net.
- Les régulateurs africains doivent délaisser leurs habits de « gendarme de la coupure d’internet » et s’inscrire dans une logique de dialogue et de concertation avec les acteurs de la société civile afin de mieux cerner les évolutions de la liberté d’expression, d’en identifier les enjeux et les risques et de répondre à ceux-ci par les meilleurs instruments juridiques à la fois de régulation que de protection des citoyens.
- Permettre la création d’un cadre collaboratif entre régulateurs du continent africain afin de favoriser une démarche de régulation continentale basée sur un partage d’expériences et d’approches afin de réduire les risques d’atteinte à la liberté d’expression.
- Les Etats démocratiques du monde doivent adopter des lois spécifiques pour l’accès à l’information, l’interconnexion des services de communication, la liberté d’opinion et d’expression dans l’espace numérique.
- L’Union africaine et la CEDEAO doivent s’impliquer dans la lutte contre la désinformation en ligne afin de permettre une réponse coordonnée et efficace contre les menaces que fait planer les fakes news au sein de l’espace communautaire.
- Le renforcement de la coopération entre les pays de la CEDEAO, de l’UA et au-delà en matière de lutte contre la désinformation, les contenus haineux en ligne ainsi que la mise en place d’un Code de conduite et de coordination au sein de l’espace africain.
- Encourager l’approche réglementaire de l’UE et renforcer les mesures prises par l’UE, l’ONU et les GAFAM dans le cadre de la lutte contre la désinformation et les contenus haineux en ligne.
- La société civile devrait continuer à jouer un rôle clé en matière de défense et de protection des droits et libertés fondamentaux en garantissant les individus contre les dérives des gouvernants.
- Liste des références
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Astou Diouf Juriste,
Doctorante en Droit Privé,
Coordonnatrice du département de recherche de l’organisation JONCTION.