"Ce que je pensais jusque-là de la COVID-19 et des migrations s’est révélé être une mine de préjugés. J’ai dans le passé côtoyé et je côtoie toujours des migrant.e.s. J’ai travaillé avec eux/elles, ainsi qu’avec des personnes spécialistes de la thématique, qui interviennent d’ailleurs au quotidien dans le domaine. Je pensais très bien maitriser le sujet."
Quelle histoire avez-vous souhaité raconter avec ces photos ?
Revenir sur le quotidien des migrant.e.s au Sénégal durant la pandémie, c’est à vrai dire une idée de la hbs. Mon premier choix pour traiter la thématique était de faire une série chez les médecins expatriés au travail, une légion étrangère qui sacrifie sa vie afin de sauver les Sénégalais.e.s. C’était difficile à réaliser, vu la contrainte de la pandémie. Donc après réflexion je suis allé dans les lieux de mobilités, lieux par excellence des migrations, mais également au niveau des espaces où les migrant.e.s travaillent au quotidien.
Pour le reste, il s’agit plus d’affect que de technique. Je me suis laissé prendre par la vague, j’ai suivi mon intuition… Il m’est arrivé lors des prises de me poser un moment, de me mettre dans la peau de mes ancêtres al pulhar qui vivent de pastoralisme, donc sont des nomades, des gens mobiles par excellence et dans de perpétuelles migrations. Je me suis senti migrant. Ou devrais-je dire que je le suis, aussi. Je me suis redécouvert à travers cette expérience, j’ai énormément appris. Donc pour certaines photos, l’inspiration m’est venue juste après une minute de pause où j’ai divagué - disons -spirituellement sur les routes des migrations nomades de mes ancêtres.
Pourquoi ces photos sont-elles vos préférées ?
Pour commencer, il y a la dimension philosophique de celles-là, le contraste entre migrations internes et migrations internationales qui apparait sur les captures en question, une certaine forme d’injustice, acceptable par nécessité sanitaire mais incompréhensible à mon niveau, les gares routières fonctionnant pour les voies intérieures, mais les déplacements internationaux restent impossibles. C’est également parce qu’on y découvre certains lieux communs de la mobilité sous une version différente de ce qui a été jusque-là, des lieux de vies qui ressemblent à des cimetières, vides, sans bruit ni animation. On découvre aussi l’impuissance des humains face à la nature, le caractère incertain de la vie et de son déroulement quel que soit l’endroit où on se trouve, que l’on migre ou pas. Durant cette période les lieux de départ/d’arrivée des migrations étaient terre vierge, tout humain y était étranger, migrant.e.
Quel est votre point de vue sur la thématique que vous avez couverte en photos ?
Ce que je pensais jusque-là de la COVID-19 et des migrations s’est révélé être une mine de préjugés. J’ai dans le passé côtoyé et côtoie toujours des migrant.e.s. J’ai travaillé avec eux, ainsi qu’avec des personnes spécialistes de la thématique, qui interviennent d’ailleurs au quotidien dans le domaine. Je pensais très bien maitriser le sujet. Toutefois, la pandémie est venue chambouler les champs des possibles ouverts aux migrant.e.s, puis elle a déstructuré leur mode de vie et surtout les a rendu invisibles. Ils sont pourtant présents, luttant contre la pandémie, aidant l’économie à tenir debout, respectant les mesures et les gestes barrières. Mon point de vue sur les migrations est qu’elles mettent en exergue ce que la pandémie nous a rappelé : que l’humain peut être migrant.e vis-à-vis des territoires, mais est forcément autochtone sur terre.