COVID-19 et migration : immersion dans la politique nationale de migration du Sénégal avec Lanfia Diané

Entrevue

Monsieur Diané, vous avez coordonné le processus d’élaboration de la politique nationale de migration du Sénégal entre 2015 et 2017, validée techniquement le 28 mars 2017.

Quelle en est la vision ?

La vision de la politique nationale de migration repose sur une conception positive des interactions entre migration, gouvernance, sécurité et développement.

Elle vise à l’horizon 2035, à assurer une gouvernance efficace des questions migratoires et à maximiser les bénéfices de la migration pour le développement durable du Sénégal.

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Immersion sur la politique migratoire du Sénégal avec Lanfia Diané

Est-ce que cette vision reste toujours d’actualité ?

Bien sûr. C’est une vision pertinente et actuelle, basée sur le triptyque « gouvernance, sécurité et développement » qui est au cœur de toutes les préoccupations liées aux questions migratoires. Cette vision fait appel à la responsabilité collective de tous les acteurs concernés par la migration qui, dans l’exercice de leurs missions différenciées, coordonnent aux niveaux territorial (local), national et supranational, leurs interventions en vue d’une cohérence globale[1] et d’une plus grande efficacité, en s’appuyant sur les principes de transparence, de responsabilité, d’efficience, d’équité et de primauté du droit.

Que peut-on retenir, comme points saillants de cette politique ?

Les points saillants de cette politique nationale peuvent se résumer à ses principaux axes stratégiques et à son Plan d’actions prioritaires (PAP). Ces axes stratégiques constituent des réponses aux différents problèmes identifiés dans l’analyse diagnostique menée au cours du processus d’élaboration de cette politique. Ainsi, onze (11) axes stratégiques, constituant des défis à relever par les acteurs étatiques et non étatiques intervenant dans le domaine de la migration, ont été proposés :

  • Mettre en place et gérer un dispositif performant de collecte systématique et de production en temps réel de données migratoires pour l’aide à la prise de décision par les autorités étatiques ;
  • Intégrer davantage les contributions de la diaspora sénégalaise dans les plans et programmes nationaux, sectoriels et territoriaux de développement du pays ;
  • Mieux organiser et gérer les processus de retour et de réinsertion des migrants ;
  • Promouvoir la migration légale et assurer la protection sociale des migrants (émigrés et immigrés) ;
  •   Assurer le respect des droits des émigrés sénégalais et des immigrés vivant au Sénégal;
  • Intégrer les questions portant sur « Femme et migration » et sur « Genre et migration » dans les politiques de gestion de la migration ;
  • Mettre en place un système approprié de gestion intégrée des frontières et actualiser les conditions d’entrée, de séjour et d’établissement au Sénégal ;
  • Lutter plus efficacement contre la migration irrégulière, le trafic illicite des migrants, la traite des personnes et assurer la prise en charge des victimes de traite et des migrants vulnérables.

Un PAP quinquennal (2018-2022) a été proposé en vue d’opérationnaliser la politique nationale de migration.

Où en sommes-nous dans la mise en œuvre de cette politique ?

Pour rappel, un communiqué a été fait par le Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération sur la politique nationale de migration au Conseil des ministres du jeudi 02 janvier 2020 en vue d’informer officiellement le gouvernement sur l’existence de cette politique ainsi que ses principales orientations stratégiques.

La mise en œuvre de la politique nationale de migration reste timide. Hormis quelques grands projets et programmes (projet de gouvernance et de gestion de la migration, programme d’appui aux initiatives de solidarité pour le développement) qui sont en cours d’exécution, bon nombre de projets ne sont pas encore opérationnels faute de financement. Toutefois, il faut noter que la table ronde avec les bailleurs, prévue à cet effet, n’a pas été organisée en raison du retard accusé dans la validation politique de ce document.

Qu’est ce qui n’a pas marché et pourquoi ?

Le long retard accusé dans le processus de validation politique de ce document stratégique dû notamment à l’instabilité institutionnelle (décomposition et recomposition fréquentes des ministères techniques).

En matière de migrations, les relations Nord-Sud ont jusqu’à présent été marquées par le Nord qui réglemente, « maitrise » et filtre en dictant les règles d’entrée au Sud « demandeur ». Avec COVID-19, on a vu des pays du Sud qui ont très rapidement restreint l’entrée sur leur territoire aux ressortissants du Nord.

Qu’est-ce que cette situation pourrait signifier ?

Cette situation signifie qu’un nouvel ordre mondial se dessine progressivement et qu’après la pandémie COVID-19, rien ne sera plus comme avant y compris dans le secteur de la migration. Face au coronavirus, mettant d’une part, à rude épreuve les plus « grandes puissances » économiques, industrielles et militaires du monde (Etats-Unis, Chine, Angleterre, Allemagne, France, Italie, Espagne, etc.) démontrant de plus en plus leur vulnérabilité et leur impuissance vis-à-vis de ce microélément de la nature et d’autre part, mettant en exergue les capacités surprenantes de résilience de certains pays du Sahel supposés sous-développés ou tiers mondistes, à contenir la progression de cette pandémie et à minimiser les pertes en vie humaine. C’est dire qu’après cette crise sanitaire, l’humanité ou le monde deviendra probablement moins arrogant(e) et plus humble avec des répercussions positives sur les relations inter-pays et intra-pays.

De plus en plus, on entend des mouvements citoyens et des activistes qui œuvrent sur la question, avoir une position plus dure en matière des relations très inégales entre les pays occidentaux développés et le Sénégal. Par exemple, en ce qui concerne la réciprocité des visas, mais également l’égalisation des conditions d’obtention de ces visas et des procédures, etc.

Pourquoi existe-t-il encore cette inégalité ?

Dans un monde où l’idéologie dominante est le libéralisme / capitalisme, l’existence d’inégalités est inévitable puisqu’inhérentes à pareil système. En raison de la présence durable de ces inégalités à tous les échelons de la société, la communauté internationale a fait de l’éradication de toutes les formes d’inégalités, une priorité.

Que pensez-vous de ces positions plus dures quant à la réciprocité ?

La réciprocité est pertinente dans un contexte de véritable souveraineté. Lorsqu’un pays n’a pas encore assuré son autosuffisance ou sa sécurité alimentaire, son autonomie financière et son indépendance économique, il sera très difficile pour lui d’appliquer la réciprocité en brandissant le seul argument de la dignité. La question de la réciprocité est très complexe, la réflexion doit continuer pour apprécier davantage les avantages et les inconvénients et proposer une option pertinente, diplomatiquement responsable et économiquement rentable pour le pays.

Quelle est la position actuelle du Sénégal en termes de droits internationaux lorsqu’il s’agit de migration ?

Le Sénégal a toujours été dans une logique de promotion de la migration légale et de protection sociale des migrants (émigrés et immigrés). C’est la raison pour laquelle, il a signé et/ou ratifié plusieurs conventions internationales, continentales et sous régionales qui concourent à renforcer le respect des droits et de la dignité des migrants, à lutter contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants.

Toutefois, la loi qui régit l’entrée ou l’admission, le séjour, l’établissement et la sortie au Sénégal, date de Janvier 1971 (49 ans) et doit être actualisée en vue de la mettre en cohérence avec les conventions supranationales actuelles et les réalités socioéconomiques du moment.

Lanfia Diané

Lanfia Diané, est présentement Conseiller en planification et Chef de la Division de la Planification sociale à la Direction du Développement du Capital humain (DDCH) du ministère de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal. Il travaille dans l’Administration publique du Sénégal depuis 2002 et a occupé plusieurs fonctions notamment celles de Secrétaire permanent de la Commission nationale de la population et des ressources humaines et de Coordonnateur technique du processus d’élaboration de la politique nationale de migration du Sénégal. Il est auteur de plusieurs publications sur les questions de migration et développement et sur les questions de population et développement.

Il est titulaire d’un diplôme d’études approfondies en Macroéconomie Appliquée du PTCI-UCAD, d’un diplôme d’études supérieures bancaires et financières, option ingénierie financière et comptabilité bancaire du COFEB-BCEAO et présentement doctorant en Economie à l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop de Dakar).


[1] Le cadre institutionnel de mise en œuvre de la politique nationale de migration avait proposé la Primature comme instance suprême de pilotage avec l’appui technique de la Cellule technique d’opérationnalisation et de suivi (CTOS). Suite à la suppression de la Primature, le Secrétariat général du Gouvernement ou la Présidence de la République ont été proposés à cet effet.