Par Mawena Yehouessi
Pendant un certain temps j’ai essayé d’adopter de nouvelles méthodes pour aborder le problème de l’Afro futurisme. Je ne suis plus enchanté par une approche factuelle, et je suis convaincu que Wikipédia le fait mieux. Venant du milieu intellectuel, en développant une pratique du conservatoire et de l’art, j’essaie maintenant de trouver des moyens plus dynamiques d’entrelacer les concepts, la poésie et les images de l’Afro futurisme, errant de la réflexion à l’émotion et vice versa. Ainsi, le texte suivant pourrait être décrit comme une expérience. Sa structure n’est pas très linéaire, et le contenu doit absolument «être amélioré», discuté, sinon contesté.
Pour moi, l’Afro futurisme opère comme un prisme ou une loupe à travers lesquels je peux toujours changer ma perspective du monde. Un monde qui, jusqu’ici, a été exploré et exploité dans une seule direction : celle de la rationalité, de l’humanisme et du progrès. Contrairement à cela, l’Afro futurisme déploie une variation sans fin, de temps, d’espaces, de métaphores et d’êtres, qui ne seront jamais, conclus, recommencés, récoltés ou consumés.
Pourquoi ?
Parce que la rationalité, l’humanisme et le progrès sont racialement biaisés. Ils se fondent sur des schémas idéologiques et mènent a des systèmes économiques et des organisations culturelles où les Noirs (ou autres minoritésˡ) restent relégués au rôle de travailleurs subalternes, de consommateurs et de proies. Pourtant, ne sont-ils pas le fondement du Capitalisme, et ne sommes-nous pas, à jamais, destinés à vivre dans un monde capitaliste ? Eh bien. Ceci es une manière (afro)pessimiste de voir les choses ? Et je pense que c’est exactement ce que l’on attend de nous : abandonner, passer notre temps à nous morfondre et nous laisser faire.
Mark Fisher décrit le réalisme capitaliste comme « ce sentiment largement partagé que le capitalisme est non seulement le seul système politique et économiques viable, mais aussi, qu’il est impossible même d’imaginer une alternative cohérente » ². Il poursuit : Le réalisme capitaliste, tel que je le perçois, ne peut pas être confiné dans l’art ou la manière quasi- propagandiste en laquelle fonctionne la publicité. C’est plus comme une atmosphère envahissante, conditionnant non seulement la production de la culture, mais aussi la régulation du Travail et de l’Education, et agit comme une sorte de barrière invisible contraignant la pensée et l’action ».
Dans le même élan, Steven Shaviro écrit : « Nous vivons dans un monde dans lequel, on nous a dit et redit qu’IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE. : Les cruelles exigences du marché actuel nous ont ravi de tout espoir et de toute croyance. Vivant dans un « MAINTENANT » sans fin, nous semblons ne plus être capables d’imaginer un futur qui pourrait être différent du présent ». Et Mark Dery --qui a inventé le mot Afro futurisme—dit « notre incapacité de concevoir le futur en des termes autres que les termes dystopiens, est un signe que nous sommes moribonds, culturellement parlant. » ³ Il ajoutera plus tard que : « un des services les plus utiles que l’Afro futurisme offre, est de montrer la dette que notre vision des choses à venir doit à tout ce qui a été. » ⁴
Comme je l’ai dit, l’Afro futurisme est un prisme. Il n’offrira aucune solution irréversible, mais va te secouer pour que tu places les choses en perspective, et recouvrer des potentialités sans fin. Dans un espace ou un temps où notre inconscient collectif— état d’esprit, comportement et notre créativité incluse –- est charpenté et pré-modelé, pour ne pas dire paralysé, par le statuquo, l’Afro futurisme est un état radical de résistance qui est équivalent au chaos et la plasticité.ˡ Suite a la conférence de Achille Bemba (dans Politiques de l’inimitié) [politics of enmity], La Découverte, 2016), cette régression d’une certaine catégorie de gens, d’abord historiquement exprimée contre les Noirs, a maintenant évolué pour inclure d’autre types de subalternes. A ce «Nègre en surface »,signifiant une personne a la peau sombre et d’ascendance Africaine, s’ajoute le «Nègre en profondeur » qui inclut désormais une variété plus complexe dont se nourrit le Système, tout en continuant de mépriser et de déshumaniser( a cause de leur foi, leur genre, leurs incapacité, etc.)
Imagination Noire et l’Association Collective
J’ai d’abord découvert l’Afro futurisme à travers Google Images. Des portraits principalement. De Ra Soleil, mais aussi une multitude de personnages, chacun d’eux unique et familier en même temps. Familiers, parce qu’ils étaient des images ordinaires que j’avais vues dans les magazines, les livres et à la Télé.
Uniques, cependant, parce que des personnes à la peau sombre étaient soudain apparues dans des paysages où des situations que j’avais oubliées ou n’avais jamais imaginées.
Ils étaient des de Massai assis sur la lune et Mami Wata dans une piscine, des Amazones du Dahomey chevauchant dans le cercle de Saturne. Ils étaient des lascars ou des banlieusards en conversation avec des créatures 3D. Ils étaient un pharaon disant ces mots à une poignée de jeunes dans le vent venant des années 70.
Je ne suis pas réel. Je suis tout comme vous. Vous n’existez pas dans cette société. Si vous existiez, votre peuple ne chercherait pas des droits égaux. Vous n’êtes pas réels. Si vous l’étiez, vous auriez un quelconque statut parmi les nations du monde. Donc, nous sommes tous les deux des mythes. Je ne viens pas à toi comme une réalité ; je viens à toi comme un mythe, parce que c’est ce que sont les noirs. Des mythes. Je viens d’un rêve que l’homme noir a rêvé depuis longtemps. En réalité, je suis une présence qui t’est envoyée par tes ancêtres. ⁵
L’Afro futurisme est fou, tapageur, infect, stupéfiant. Un vrai charabia, à la santé, au vieil homme ! C’est sa revanche sous la forme d’une améthyste. Ne le prenez pas mal. L’Afro futurisme n’est pas seulement utopique ou contre utopique, mais hétérotopique. Fou, infect, tapageur ne signifie pas naïvement positif, mais optimiste en fait. Parce que je pense que l’optimisme est un déclencheur. Vous pourriez peut être vous dire que la peur et le désespoir sont des déclencheurs également, mais ces derniers ont besoin d’un agent extérieur pour les activer contre vous. L’Optimisme est en toi et seulement toi. Pas comme un individu capitaliste, mais comme l’élément singulier d’une association collective, un gang, une troupe, une famille ou une tribu : une communauté dont vous avez choisi de vous occuper.
Parce que, oui, l’Afro futurisme concerne une communauté entière originaire d’un espace externe. Pas une communauté donnée basée sur des facteurs historiquement évidents, mais un groupe de personnes avec lesquelles vous avez vraiment choisi de partager quelque chose en commun. Pas de parias ou d’outsiders réglos.
Cependant, une fois de plus, ne le prenez pas mal. L’Afro futurisme a vraiment trait avec le fait d’être noir (avant même l’Africanité), mettant en collaboration ceux qui sont prêts à mettre l’humanité en liberté provisoire sous caution ; pas au nom du progrès, de l’égalité ou du futur, mais pour la transitivité, l’hétérogénéité et au nom du spectre des fantômes du passé : Mus par la course à l’espace de la fin des années 50, Ra Soleil envisagea un nouveau terrain pour lui et ses camarades noirs. Au lieu d’accabler leurs esprits, leurs corps et leurs âmes dans un pays qui considérait leurs vies et leurs espérances comme étant hors de propos, ils le charcutaient, promulguaient à l’avance, au lieu de (re)promulguer. Ils le déformaient et s’ingéraient avec lui. Ra Soleil se reformait comme le prêcheur Saturnien surgissant de l’éponymique Dieu Egyptien du Soleil. Son Archestre deviendrait un espace-Arche conçu pour mener ses compagnons vers une Terre rénovée et pour redémarrer l’histoire.
Ce serait un changement radical de stratégie. Le but ne serait plus de survivre mais de vivre une vie différente. Parce que je suis vraiment d’accord avec Christelle Oyiri quand elle dit : « tu ne peux pas avoir la liberté quand tu la réclames »⁷. L’Afro futurisme était toujours à propos de, plus que le bouleversement des normes ; plus que cela, il a carrément cessé de leur donner toute forme de considération.
Laissez-moi vous donner un exemple. A cause de sa condition de cryptorchidie (textes non-descendus), Ra Soleil ne s’est pas conformé aux espérances conventionnelles du sexe male. Prenant ceci comme un avantage, selon un système de valeurs auto-dédicacées, il s’est transformé en ange avec comme mission de ré-enchanter le monde.
De la même façon, il a émis des métaphores qui deviendraient plus tard essentiels pour éclairer la distinctivité dynamique des peuples noirs. Au lieu d’une position historique négative de stigmatisation, le fait d’être noir pourrait, désormais être positivement interprété. Le déracinement des populations Afro-Américaines, descendants d’esclaves, pourrait être ‘régénérée’ de sorte qu’on lui restitue quelque potentiel de design⁸ en les considérant de par leur ascendance étrangère égyptienne.
Selon le conteur de musique belge Pierre Deruisseau, Ra Soleil et son Archestre ont enregistré plus de 120 disques, à partir de la fin des années 50 au début des années 90, et se sont produits à travers tous les US, dans plusieurs pays européens, au Nigeria, en Egypte et même au Japon. Surtout, il a créé El Saturn Research en 1957, un des premiers labels musicaux indépendants, sans mentionner le fait que c’était l’œuvre d’un musicien Noir. Ra Soleil (Sun Ra) était alors capable de composer, d’enregistrer et de publier ce qu’il voulait, quand il voulait, jouissant d’une liberté d’action sans précédent. « Je devais avoir quelque chose et ce quelque chose devait être de créer quelque chose que nous serions les seuls à posséder », disait -il⁹
J’ai appris de lui que la « radicalité », employé ici comme synonyme d’excentricité, ne signifiait pas nécessairement être coupe du monde ou vivre dans une caverne. C’était une méthodologie pour ouvrir de nouveaux temps et de nouveaux espaces pour se soulager, se reposer et festoyer, afin de recouvrer de la puissance et la sagesse collective pour s’introduire dans le système et d’en multiplier les fissures. Pour rejeter la Centralité et allumer autant de pierres de cheminée que nous aurons besoin pour consumer la prédiction de Baldwin du feu la prochaine foisˡ⁰
Les politiques du Sous- terrain
L’Afro futurisme est, et a toujours été, politique. Esthétiquement et politiquement complexe, c’est un lieu pour la conscience collective, l’expérimentation et la justice sociale.
Proposer une vision Afro futuriste du monde est une question de réfléchir de manière critique sur les développements à long terme, les débats et les efforts pour créer des politiques inclusives plus larges. Et si les Noirs doivent diriger cette action, c’est parce que la vraie distorsion ne peut jaillir que des marginaux.
En effet, qui est mieux placé pour déployer des alternatives que ceux qui sont contraints de négocier avec les structures qui les oppriment ?
Et oui, l’Afro futurisme traite de ce qui semble être des réalités d’autres lieux (ou comme le veut Jonathan Dotseˡ², « d’autres temps »). Cependant, ce que l’on appelle dystopsie, n’est-il pas déjà le fardeau quotidien de beaucoup de gens ? : empoisonnement de nourriture, érosion côtière, trafic humain, etc. ? Pendant que le désespoir capitaliste s’évertue à manipuler notre inventivité, nous faisant croire que nous manquons de force, d’assistance et d’imagination, l’Afro futurisme s’intéresse à interférer avec le quotidien, et à expérimenter de potentielles options de vivre différemment.
Des citations pêle-mêle de Cherie Ann Turpinˡ³, Deidre Lyn Hollmanˡ⁴, Tim Stuttgenˡ⁵ and Ytasha L. Womack ˡ⁶: “L’Afro futurisme positionne le récit principal au sujet du passé, du présent et du future dans un récit d’instabilité et d’indécision…pour développer une stratégie discursive qui complique et perturbe ces récits et mythes qui dépendent d’une singularité d’opportunité ou de manière plus importante, sur des politiques d’identité. » (Turpin) |Au carrefour de l’intersectionnalité et de l’hétérogénéité » (Stuttgen). L’Afro futurisme est une esthétique affirmative et une position philosophique qui s’interroge sur comment nous survivrons dans le futur, pas si nous survivrons. (Hollman) |
Comme une pratique transitive et transgressive, il s’occupe de « racisme et d’images des mass media [d’une manière surnaturelle] pour montrer le développement d’espaces, de personnages principaux et de constellations représentationnelles d’espaces de plus en plus complexes, y compris des femmes noires révolutionnaires (avec des fusils) et aussi d’étranges thèmes sous-jacents. » (Stuttgen)
Ainsi, parce qu’il apporte des outils pour entailler des portraits et des histoires, aussi bien ⁷que la technique et les outils pour des situations à venir, je suis convaincu l’Afro futurisme pourvoira d’une nouvelle forme d’éthique radicale.
Il ne se focalise pas seulement sur les effets, mais aussi sur les cotextes et les forces en jeu. Il développe une vue plus large des structures du pouvoir, comment elles peuvent évoluer, et qui sera laisse à la traine. Parce qu’il est ancre dans une observation de normes d’ordres et d’institutions suffocantes, aussi bien que des traits passés, traditionnels et subjectifs, Il nous permet de corrompre l’idée même de « futur ». Parce que le futur n’est pas devant nous : Il est au dessus, en dessous, et à nos côtes.
La ligne du temps Afro futuriste n’est pas linéaire. Son expansion est multidirectionnelle, permettant aux temps et aux récits de coexister simultanément, nous laissant, en tant qu’individus et associations collectives, développer nos formes singulières de résistance, actuellement, pour soulager le passer, pour modeler le futur, ou tout à la fois.
Le Miroir du Courant Principal.
Ici, j’aimerais citer Marie-Jose Mondzainˡ⁷ sur la « radicalité » :
Je souhaite retourner au terme ‘ radicalité’, sa beauté virulente et son énergie politique. Aujourd’hui, on fait tout pour l’identifier aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies…La radicalité, au contraire, appelle au courage de la rupture constructive, et à l’imagination la plus créative. La confusion entre le radicalisme transformatif et l’extrémisme est le pire venin [que nous ingérons] jour après jour. [La radicalité] est tout à fait le contraire : une liberté inventive et généreuse. Elle ouvre les portes de l’indétermination, des possibilités, et, ainsi, accueille tout ce qui arrive, et tous ceux qui sont déterminés à rejoindre, comme un cadeau qui accroit nos ressources et notre pouvoir d’action.
Prenons maintenant une minute pour parler de ce qui pourrait avoir été la plus grande ‘introduction’ a l’Afro futurisme, à travers le monde : les panthères noires. Pourtant, ce n’est pas un film sur la radicalitéˡ⁸
En mon sens, cela pourrait être son plus grand contrexemple et, ainsi, ne pourrait pas être étiqueté d’Afro futuriste. Comme le dit Ashley Clark, l’Afro futurisme n’est pas « quelque chose qui peut être coopté à l’instant ».
En intervertissant les rôles du genre et de la race (au lieu d’en inventer d’autres), et de ne jamais mettre en question la structure, les critères, et les origines mêmes de ces rôles, les Panthères Noires apparaissent comme une tentative vaine de servir de fourreau a l’inventivité de l’imagination noire. Pour rationaliser son unicité protéiforme en une autre qui pourrait être analysée, comparée, intégrée et capitalisée. Cà signifie imaginer le futur avec plus de noirs y faisant partie : Mais quel genre de futur exactement ? Et que signifie « y faisant partie ? »
Cependant, encore une fois, la question est comment réconcilier une manière radicale, et d’un autre monde, de traiter le monde avec un contexte d’agression au-jour-le jour. A quoi sert –il d’imaginer des modèles alternatifs si on ne [peut pas les appliquer sur une échelle globale ?
En vérité, je ne crois plus en quelque objectif à l’échelle globale. Plutôt, je vais déployer mes énergies vers des constellations locales de gens, mobiles et émotionnellement connectées. D’où, ce n’est plus une question de chaînes, mais d’échelle. Les films²⁰, les arts contemporains et la mode ²ˡ, la musique²², les technologies et la politique²³ sont tous des moyens et des industries détournés, a infiltrer, ou même à charcuter, si possible.
Et une fois, encore, les communautés, n’étant pas d’éternelles catégories de gens et de liens sociaux, mais plutôt des designs, une performativité temporaire. Je crois aux erreurs et « entre-soi » [entre nous]. Ne pas exclure, mais préserver. Et jamais basés sur une manière absolue et des règles statiques, mais suivant l’intuition et l’attention. Je pense que l’Afro futurisme signifie être ouvert à qui que ce soit, pas avoir confiance, aimer ou évoluer avec qui que ce soit.
Et chercher un plus grand public de devrait pas signifier caresser dans le sens des poils et standardiser.
Aller en profondeur dans les ténèbres
Pour résumer, se situant quelque part entre la performativité et la foi, l’Afro futurisme est une pratique et une formule magique, un hashtag et un égrégore allant au-delà de toute définition statique. Il est radical parce que complexe, collectif et prismatique, paradoxal et polysémique, brave et nourrissant. Il est irréductible, intransigeant et insoluble. Et j’espère avoir échoué de le définir, parce que, je préférerais vous voir essayer : ce qui engendrerait une collision intuitive qui continuerait de subir une mutation jusqu'à ce que vous réalisiez que vous détenez déjà sa définition. Et vous êtes toujours en vie.
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