Le 24 septembre prochain, les Allemands élisent leurs députés et, par leur intermédiaire, un gouvernement et un chancelier. Mais alors, comment fonctionne le système politique allemand et comment sont élus les députés ?
Le 24 septembre prochain, les Allemands élisent leurs députés et, par leur intermédiaire, un gouvernement et un chancelier.
Le mode de scrutin allemand est souvent méconnu ou incompris. On parle de « scrutin mixte », de « parlementarisme rationalisé », et la plupart du temps, on rechigne à se pencher précisément sur ce modèle complexe. Celui-ci mêle pourtant vote majoritaire, qui tient tant à cœur à de nombreux français, et vote proportionnel, que de nombreuses personnalités politiques ou intellectuelles, mais aussi et surtout de nombreux citoyens et citoyennes appellent de leur vœux pour renforcer la représentativité de notre Assemblée nationale.
L’évocation de l’introduction d’une part de proportionnelle, ou de la proportionnelle intégrale est devenue un classique des soirées électorales en France, au nom d’une meilleure représentation de la pluralité politique au sein des institutions du pays, et en premier lieu du Parlement. En général, deux arguments sont défendus par les détracteurs de la proportionnelle : les gains potentiels pour le Front National, et l’instabilité politique. Qu’en est-il donc en Allemagne ? Comment les députés allemands sont-ils élus, et le mode de scrutin génère-t-il plus d’instabilité que celui que nous connaissons en France ? A quelques semaines des élections législatives allemandes, faisons le point sur quelques caractéristiques clés du système politique outre Rhin.
Élections en Allemagne : comment ça marche ? - Heinrich-Böll-Stiftung France
Watch on YouTubeLe Bundestag, clé de voûte du système politique allemand
S’il existe bien un président de la République fédérale allemande, les pouvoirs de celui-ci demeurent essentiellement symboliques. Garant des institutions, il est avant tout une figure morale et assure un rôle de représentation. Le Bundesrat, assemblée représentant les gouvernements des Länder (Etats régionaux), permet d’assurer le lien entre l’Etat fédéral (Bund) et les Etats régionaux (Länder), sur le plan législatif et administratif. Le Bundesrat joue aussi un rôle dans les affaires européennes. Mais l’institution centrale du système politique allemand est le Bundestag, la chambre des députés. Le Parlement occupe une place prédominante dans le système politique allemand : le Chancelier ne peut se départir de la confiance des députés et contrairement au cas français, il doit en général composer avec une coalition. Les députés, élus pour un mandat de quatre ans, élisent le Chancelier et votent les lois. Ils disposent de nombreux pouvoirs de contrôle du gouvernement, au travers des séances parlementaires (plénières ou commissions) mais aussi par le biais des commissions d’enquête. Formées à la demande d’au moins 25% des députés[1], ces commissions sont chargées de contrôler ponctuellement l’action gouvernementale sur des sujets précis. Elles peuvent auditionner des experts, rassembler des preuves établissent ensuite un rapport, qui sera débattu par le Bundestag. Le Bundestag est donc bien la clé de voûte du système politique allemand. Mais comment sont donc élus les députés qui le composent ?
Une élection à deux voix
Le mode de scrutin allemand est complexe. Contrairement à ce qu’on en dit parfois un peu hâtivement, il ne consiste pas en un vote « 50 % majoritaire, 50 % proportionnel ». La logique qui le régit vise à obtenir une représentation parlementaire strictement fidèle au poids politique des différents partis par l’intermédiaire de la « deuxième voix » (sauf pour les partis n’atteignant pas 5 % des voix) tout en assurant une représentation locale personnalisée par le biais de la « première voix ».
Chaque électeur allemand a donc deux voix : la première voix sert à élire un député par circonscription au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Ainsi, dans chacune des 299 circonscriptions que compte l’Allemagne, le candidat qui rassemble le plus de voix est élu député. Ces « mandats directs » permettent une représentation de l’ensemble du territoire au Bundestag, et de conserver un lien personnalisé entre l’élu au parlement et le territoire qu’il représente.
La seconde voix détermine l’équilibre global des forces politiques au sein du Parlement (scrutin proportionnel plurinominal) : en fonction des résultats de la première voix, un certain nombre de députés issus des listes de chaque parti rejoint le Bundestag, de manière à compléter le Parlement en respectant l’équilibre défini par la seconde voix. In fine la répartition des sièges au Bundestag est strictement équivalente aux résultats du vote proportionnel, mais avec des députés différemment élus, sur liste, ou en circonscription. Le résultat ne donne, en général, pas la majorité absolue à un parti : cela implique de former une coalition.
Rapport de force et culture du consensus : les coalitions politiques
Là où, en Allemagne, l’idée fait son chemin, il paraitrait hautement improbable pour un Français d’être gouverné par un attelage entre les Verts et la droite républicaine. Le système français, fondé sur la domination d’un grand parti majoritaire sur les autres partis laisse deux possibilités à ces derniers : s’opposer à l’action gouvernementale ou la soutenir. Dans ce dernier cas, il peut s’agir, soit, d’adopter une « attitude constructive » sans faire partie du gouvernement, soit de participer activement à l’action gouvernementale en occupant un ou plusieurs postes ministériels. En général, cela implique d’accepter une forme d’allégeance au parti majoritaire, qui, dans le système français, se considère souvent comme le seul dépositaire de l’onction suprême du suffrage universel. Les partenaires du parti majoritaire peinent ainsi, dans la plupart des cas, à imposer leur point de vue dans l’exercice du pouvoir, et ne disposent que de faibles moyens de pression sur l’exécutif.
En Allemagne, la formation d’une coalition entre les députés de deux ou trois partis est presque toujours nécessaire pour réunir une majorité permettant d’élire un gouvernement et le/la chancelier. Menées, traditionnellement, par le parti arrivé en tête des élections, les négociations pour former une coalition majoritaire portent sur un contrat de coalition autour duquel deux ou trois partis s’accordent sur les lois et réformes à mettre en œuvre au cours du mandat. La répartition des postes ministériels en fonction du poids politique des membres de la coalition, est également au cœur des discussions. Le parti arrivé en tête peut entamer plusieurs discussions préalables afin d’évaluer les possibilités d’alliance avec les autres partis, avant d’engager des discussions plus abouties avec un ou deux de ces partis pour former la coalition. Ce processus peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La logique de coalition, fondée sur la construction d’une majorité stable dotée d’un mandat clair et d’une feuille de route construite par les partenaires de coalition confère un véritable poids politique aux deux ou trois partis coalisés - à condition, bien évidemment, notamment pour les petits partis, que la négociation ait été bien menée.
La logique de coalition a également un impact sur la vie politique et le débat public dans le pays : celui-ci est moins caractérisé par l’opposition frontale et le rapport de force permanent que par la recherche de points de convergence et la volonté de montrer sa crédibilité à pouvoir gouverner avec d’autres partis – sans pour autant nier les spécificités de chacun.
Un système politique stable
La nécessité de former une coalition, issue du mode de scrutin proportionnel, n’est toutefois pas le seul déterminant de la stabilité politique du pays. Alors qu’en France, seul le fait majoritaire limite l’instabilité politique – rappelons que d’après la Constitution de la Vè République, sans majorité parlementaire, le Parlement pourrait renverser le gouvernement à tout moment, de même que le Président peut dissoudre à tout moment l’Assemblée nationale - en Allemagne, la stabilité politique est régie par des règles constitutionnelles qui organisent l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et conditionne les possibilités pour chacun de renverser l’autre. Le Chancelier ne peut ainsi décider seul de dissoudre le Parlement. Il ne peut demander la dissolution au Président de la République qu’à la seule condition d’avoir été mis en minorité lors d’un vote de confiance (article 68 de la Loi fondamentale)[2] organisé à sa demande. Par ailleurs, le Parlement ne peut renverser le Chancelier ou la Chancelière qu’au travers d’une « motion de défiance constructive » : les députés doivent former une nouvelle coalition et proposer le nom d’un nouveau chancelier pour pouvoir renverser la coalition en place (article 67 de la Loi fondamentale).
Ces deux règles contribuent à la stabilité gouvernementale. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale, la question de confiance a été posée à cinq reprises et s’est soldée dans seulement trois cas par la dissolution du parlement. De même, le Parlement n’a tenté qu’à deux reprises de faire tomber le chancelier en le remplaçant, n'aboutissant que dans un cas à la destitution, en 1982, du chancelier Helmut Schmidt (SPD) au profit d’Helmut Kohl (CDU).
Les élections du 24 septembre s’annoncent assez inédites : elles pourraient voir entrer au Parlement six partis politiques différents, dont un – pour la première fois de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne – issu dé l'extrême droite (AfD). L’arrivée au Parlement de « l’Alternative pour l’Allemagne », parti populiste anti-européen et ouvertement anti-immigration, lui permettrait d’accéder aux moyens financiers et politiques – conséquents - du Bundestag. Cela lui donnerait alors un autre statut et de nouveaux pouvoirs au sein de la vie politique allemande, et représenterait un certain défi pour la démocratie allemande.
Jules Hebert