Mme Awa Guéye est députée et actuellement deuxième vice-présidente à l’Assemblée nationale du Sénégal. Responsable politique à Kaolack, c’est en 2012 qu’elle obtient son premier mandat en tant que députée de la 12ème législature de 2012 à 2017 pendant laquelle elle fut première vice-présidente de l’Assemblée Nationale.
Pouvez-vous s’il vous plait nous parler de votre parcours politique ?
J’ai eu un bref parcours politique parce que ce n’est qu’en 2007 que j’ai commencé à m’intéresser à la politique avec le mouvement de soutien M2M - Mouvement pour le 2ème Mandat. C’est ainsi que j’y ai pris goût et j’ai acheté la carte des cadres du PDS au sein duquel j’ai milité à mes débuts.
En 2008, lorsque le Président de l’Assemblée Nationale, Macky Sall en ce temps a démissionné du parti suite à des problèmes, nous l’avons suivi pour créer l’APR (Alliance Pour la République). Nous avons mené ensemble le combat jusqu’à son élection à la magistrature suprême en 2012.
Suite à la recrudescence des violences faites aux femmes au Sénégal, le Président Macky Sall a demandé au ministre de la justice de préparer une loi pour criminaliser le viol et la pédophilie au Sénégal. Que pensez-vous de cette sortie ?
Nous avons apprécié sa sortie parce qu’il a entendu le cri des femmes. Avec cette recrudescence des violences faites aux femmes, toutes les structures des femmes, société civile, syndicats, politiques, etc. ont toutes crié pour demander la criminalisation du viol.
En tant que parlementaires, nous n’étions pas en reste. Nous avions participé au sit-in qui a été organisé à la Place de la Nation où nous avons reçu le mémorandum des femmes. Nous avons pris sur place l’engagement de porter le combat à l’assemblée nationale. C’est ainsi que dès la semaine suivante, nous avons écrit au Président de la République au nom du Collectif des Femmes Parlementaires pour demander que le viol soit criminalisé, ce qu’il a bien entendu.
Il a demandé aux acteurs de la justice un projet de loi demandant la criminalisation du viol, ce qui est donc une chose à apprécier. En tant que femme, on se dit « trop c’est trop ».
Nous ne pouvons pas accepter que du point de vue législatif, toutes les conventions fustigeant les violences faites aux femmes ont été ratifiées par le Sénégal. Ce qui signifie que du point de vue de la loi, il n’y a aucun problème mais il faut que les textes soient appliqués comme il faut.
Et puis de surcroît – et ce n’est pas pour banaliser- je dis souvent que le vol de bétail et la drogue ont été criminalisés, pourquoi lorsque la dignité de la femme est bafouée, on ne parle pas encore de crime ? C’est notre cri de cœur et le Président de la République a bien entendu.
En tant que législatrice, quelles seraient vos recommandations pour que cette loi puisse être efficacement appliquée ?
A notre niveau en tant que collectif de femmes parlementaires qui regroupe les 70 femmes députées, nous nous préparons à recevoir ce projet de loi. C’est sur ce point que nous avons organisé des ateliers de renforcement de capacités pour les femmes parlementaires afin d’identifier les points sur lesquels intervenir au niveau du code pénal, pour que le viol soit criminalisé. Nous avons reçu beaucoup de formations dans ce sens et nous attendons ce durcissement pour que le viol soit un vieux souvenir pour les femmes.
Et nous allons encadrer ce projet de loi pour qu’une fois arrivée à l’Assemblée Nationale, ce soit voté à l’unanimité et une fois votée, nous allons nous battre pour que la loi soit appliquée comme il faut.
Parce que voter une loi c’est bien mais le mieux c’est d’appliquer cette loi pour sanctionner les fautifs.
De l’hémicycle aux cours de justice, il est difficile d’avoir une bonne compréhension du cycle de vie d’une loi et parfois même du travail des parlementaires. Qu’est ce qui, à votre avis, est important que l’opinion publique sénégalaise comprenne dans la fonction mais surtout le rôle d’un-e parlementaire ?
Le travail du parlementaire n’est pas tellement compris des populations. Parce que la grande plénière est ce que les populations retiennent du travail des parlementaires alors qu’il y a tout un processus avant d’en arriver là.
D’abord lorsque la proposition de loi arrive à l’Assemblée Nationale, la conférence des présidents en est informée. Celle-ci élabore, par la suite, le calendrier de passage au niveau de la commission technique compétente. C’est au niveau de la commission technique permanente que se situe le travail.
Ce n’est qu’à partir de ce moment, que les parlementaires ont la possibilité de donner leur avis, fustiger les points sur lesquels ils ne sont pas d’accord ou alors demander le projet de loi. Une fois que ce travail est fini et que la loi passe en commission technique, ce n’est qu’à ce stade qu’on passe à la grande plénière.
Les populations ne comprennent pas trop le travail du parlementaire et c’est pour cela qu’il nous faut une chaine parlementaire au niveau de l’Assemblée Nationale. Parce qu’avoir une chaine parlementaire qui diffuse en direct tout ce qu’on fait à l’Assemblée, permettrait aux populations de véritablement comprendre ce que font les député-es en longueur de journée.
Sinon, ce qu’elles retiennent du Parlement, c’est simplement les frasques. Ce qui ne nous honore pas du tout.
Vous avez mentionné l’application des lois, il y a au sein du Parlement une commission qui s’occupe spécifiquement de cela. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette commission ?
En fait, il y existe onze commissions techniques à l’Assemblée Nationale et il existe une commission qui se charge de suivre les lois qui ont été votées et de veiller à leur application, c’est la commission des délégations.
Cette commission doit faire la revue de toutes les lois votées à l’Assemblée Nationale et voir celles qui n’ont pas été appliquées et les raisons des blocages dans leur application. C’est cela le travail de la commission des délégations qui doit faire le suivi des lois que nous votons à Assemblée Nationale.
Avez-vous l’impression que la commission des délégations fait ce travail ?
Oui, la commission marche. Mais nous sommes dans une société où les gens tiennent compte de beaucoup trop de paramètres et de contraintes.
C’est ce qui fait qu’une loi peut ne pas être appliquée, mais que le blocage puisse se situer ailleurs qu’au niveau législatif. Cela peut bloquer pour des raisons de coutumes, d’un point de vue social, religieux, etc. Donc la commission en rapport avec des autorités et les leaders d’opinion doit travailler dans le sens de la levée de ces contraintes.
Je peux vous donner l’exemple de la loi sur la parité. Nous avons connu quelques contraintes, avec les élections locales passées. Alors ces contraintes ont été identifiées par la commission des délégations et il faut qu’on aille vers la levée de ces contraintes.
En tant que femme parlementaire, comment cette loi sur la parité s’applique-t-elle dans les réalités à l’Assemblée Nationale ?
Je ne dirais même pas en tant que femme parce qu’au niveau de l’Assemblée, je ne me considère pas comme femme. Je me bats tout le temps pour les femmes, mais quand je suis dans l’hémicycle je ne suis pas qu’une femme, je suis comme les autres députés et je me bats comme tel.
Parce qu’en fait, cette discrimination homme-femme ne tient pas debout. Vous savez ce qui tient debout, c’est le genre. C’est qu’il faut que les gens se respectent mutuellement.
Que tu sois femme ou homme, il faut qu’il y ait un respect mutuel et il faut une égalité au niveau des droits. C’est ça notre combat.
Il s’agit de se battre pour qu’il y ait une égalité, pour que ce qui est reconnu pour le député homme soit également reconnu pour le débuté femme.
Est-ce le cas ?
Oui, nous nous battons mais ce n’est pas facile. Donc, il faut toujours continuer le combat.
La Loi de la parité est là mais les gens la considèrent parfois comme étant discriminatoire alors qu’elle vient restaurer l’équilibre entre les hommes et les femmes.
Parce que de 1960 jusqu’en 2007, les hommes étaient trois fois plus nombreux que les femmes à l’Assemblée nationale, ce qui était une injustice. La loi sur la parité est venue véritablement réparer une injustice et instaurer l’égalité en nombre entre les hommes et les femmes.
C’est la raison pour laquelle nous avons eu 64 femmes sur 150 députés en 2012, ce qui était déjà bien avant de nous retrouver à 70 femmes sur les 165 député-es en 2017. Cela veut dire que les choses sont en train de bouger mais cela ne suffit pas.
La présence quantitative ne suffit pas. Il faut que les femmes aient la possibilité de faire des prestations de qualité.
A l'Assemblée nationale (ce n’est pas pour nous vanter), les femmes sont beaucoup plus présentes que les hommes, autant dans les commissions où elles participent beaucoup plus que dans les plénières. Il faut donc que les femmes continuent de tout le temps faire bouger les choses.
Heureusement que nous notons une certaine volonté politique, parce que sans elle les femmes ont beau crié, rien ne bouge. Avec la volonté politique combinée, les femmes peuvent aller vers l’application de leurs droits.
Quelles sont les actions menées par le Collectif des Femmes Parlementaires ?
Le Collectif des Femmes Parlementaires se bat pour la promotion du genre autant à l’Assemblée Nationale qu’ailleurs. De 2012 à nos jours, nous avons eu des acquis majeurs au Parlement.
Par exemple, nous avons l’application parfaite de la parité dans le bureau de l’Assemblée Nationale. Nous avons aussi le rapport genre du budget, parce que nous devons aller vers la budgétisation sensible au genre. Nous n’en sommes pas encore là, mais chaque année, le ministre en venant présenter le budget présente en même temps le rapport genre du budget. C’est tout de même un acquis considérable.
Dans les ministères aussi, nous avons des points focaux genre, ce qui est bien aussi
Nous nous battons également au plan de la protection des jeunes filles. Nous avons, en rapport avec le ministère de la femme, identifié les normes discriminatoires à l’égard des femmes et des jeunes filles. Nous avons recensé quelques points dans ce sens.
Par exemple, le point relatif à l’âge du mariage qui est de 18 ans pour l’homme et 16 ans pour la femme. Nous disons qu’il faut également appliquer une égalité en page.
Pourquoi permet-on à l’homme de se marier à 18 ans et à la jeune fille de se marier à 16 ans.
Il faut donner le temps aux jeunes filles de préparer leur corps, de faire des études, de faire le baccalauréat, etc. Cela fait aussi partie de nos luttes.
Maintenant que nous avons l’acquis de la nationalité[i], nous avons également identifié la question de la puissance maritale [ii]en ce qui concerne l’autorité parentale, nous nous battons pour aller vers les mêmes droits entre l’homme et la femme en ce qui concerne la famille et la gestion des enfants.
Au plan social, le collectif des femmes parlementaires s’active en venant en aide à des personnes malades ne pouvant pas prendre en charge leurs frais d’hospitalisation et de médicaments, etc. Nous avons récemment eu un grand programme de soutien aux villages S.O.S du Sénégal pour apporter notre aide à ces enfants pour qu’ils puissent vivre dans de bonnes conditions.
Donc tout cela, c’est des activités du collectif mais le point sur lequel nous mettons l’accent, c’est le renforcement des capacités de femmes parlementaires.
Vous avez parlé de « combat genre », quel est à votre avis la perception que les acteurs et actrices étatiques ont de la question genre ? Avez-vous l’impression dans ce combat que tout le monde est au même niveau de compréhension sur sa nécessité et ses enjeux ?
Je peux dire que ce que nous comprenons de la question genre, c’est le respect des droits humains, que ce soit pour la femme, pour l’homme, pour l’enfant et pour les personnes vulnérables.
Il faut que tout un chacun puisse avoir ses droits et que ceux-ci soient respectés.
L’égalité entre les sexes – un mot que je n’aime pas (Ndlr : sexe) – ne nous intéresse pas.
Ce qui nous intéresse, c’est que la dignité de la personne soit respectée et que ses droits de personne soient acquis et respectés. C’est ça qui nous intéresse.
Maintenant, est-ce compris par tous les acteurs et actrices de l’Etat ? Je ne saurais le dire mais ce dont je suis certaine c’est qu’à notre niveau, en tant que parlementaires, notre combat c’est d’aller vers le respect de la personne humaine.
Votre mot de perspective ?
Mon mot de perspective est de vous remercier vivement et puis apprécier votre combat de tous les jours et vous dire que nous faisons la même chose.
Nous nous battons pour le développement durable parce qu’en fait, c’est cela le défi du monde. Les sociétés se battent pour qu’il y ait un développement durable pour garantir la vie des générations futures.
Donc je vous remercie et vous félicite pour le travail.
Par Gnagna Kone
[i] Révision de l’article 7 du code de la famille sénégalaise en vertu duquel un homme étranger peut désormais acquérir la nationalité sénégalaise par mariage à une femme sénégalaise. Avant ce nouvel article, seul les femmes étrangères étaient en mesure d’acquérir la nationalité sénégalaise par mariage à un homme sénégalais. LOI n° 2013-05 du 8 juillet 2013 portant modification de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifiée. http://www.jo.gouv.sn/spip.php?article9794
[ii] Article 152 du code de la famille au Sénégal titré « Puissance maritale » et qui stipule que « Le mari est le chef de la famille, il exerce ce pouvoir dans l’intérêt commun du ménage et des enfants » ce qui fait que l’autorisation parentale appartient toujours au père même si l’autorité parentale qui peut parfois être partagée dans certains cas avec la mère, a remplacé la puissance paternelle.
http://www.armeedeterre.gouv.sn/sites/default/files/CODE_FAMILLE.pdf