« Les frontières ne devraient pas nous conduire à un sentiment de haine réciproque..."

Entrevue

Le dessinateur Godfrey Mwampembwa, alias Gado, aborde dans son entrevue la question de la situation sociale en Afrique du Sud, 25 ans après la fin de l'apartheid.

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Karikatur gabo April 2019_xenophobia 25 years after apartheid in South Africa

La fin de l'apartheid a nourri l'espoir à travers tout le sous-continent du point de vue de la libération pacifique de l'oppression et de la transition vers la démocratie. Comment voyez-vous aujourd'hui l'état de la démocratie en Afrique du Sud, 25 ans plus tard ?

La situation de la démocratie en Afrique du Sud est très bonne, malgré de nombreuses difficultés. En tant que Tanzanien ayant grandi à Dar-Es-Salaam, la lutte pour la liberté me concernait, parce que la Tanzanie y était fortement impliquée. Puisque je suivais avec passion les problèmes mondiaux, je m'étais aussi familiarisé avec la question sud-africaine qui avait été discutée dans le monde entier. J’ai même rencontré des combattants de la liberté, pour lesquels la Tanzanie a ensuite mis sur pied des prétendus camps de liberté pour les héberger.

Si je considère ce que le pays a traversé durant ces dernières années, c'est comme si, malgré les défis, nous avons aujourd'hui une meilleure Afrique du Sud. Bien sûr, il y a maintenant des gens qui disent que l'Afrique du Sud aurait pu mieux faire, qui pensent que le pays a juste changé d'un régime sévère à un autre. Mais je ne suis pas de leur avis, car je pense que nous devons considérer le contexte historique, et reconnaître les réalisations effectuées jusqu'à présent.

Dans l'une de vos récentes caricatures, vous avez dessiné l'image d'une Afrique du Sud xénophobe, attaquant brutalement des immigrant-es. Pourquoi avez-vous choisi ce sujet? Considérez-vous la situation des migrant-es en Afrique du Sud comme le reflet d'un problème plus important d'intégration et d'exclusion dans le pays?

Lorsque l'on regarde l'histoire du système d'apartheid, l'Afrique du Sud était depuis des générations une société très violente contre les Noirs. C'est ce qui a détruit la substance socio-économique de la société. Dans cette perspective, on ne s'attend pas à un miracle après 25 ans. D'autre part, l'Afrique du Sud fait partie du monde dans lequel nous vivons et où toutes sortes de forces et de dynamiques internationales amplifient le problème.

Le dessinateur Godfrey Mwampembwa, dit Gado, est un incontournable du paysage médiatique critique du Kenya. Il publie quotidiennement une caricature dans East African Standard et il est reproduit dans de nombreux journaux, aux niveaux national et international. Il a cofondé une agence multimédia indépendante, Buni Media, dont le siège est à Nairobi, et il a créé et produit un spectacle satirique hebdomadaire avec des marionnettes à la main, diffusé à la télévision kenyane depuis 2009.

Gado s'est vu décerné une variété de prix. En 2016, il figurait sur la liste du magazine NewAfrican, comme l'une des 100 personnalités africaines les plus influentes.

En d'autres termes, dans un pays qui a subi la violence pendant tant d'années et qui est en plus en proie aux pressions économiques internationales, les gens vont bien-sûr réagir en conséquence. N'oublions pas que le monde connaît actuellement une recrudescence de l'extrémisme, du nationalisme et de l'autoritarisme, et tout cela a exacerbé, à mon sens, les problèmes en Afrique du Sud. Mais ils ne sont pas forcément la cause du problème. Je pense que la xénophobie que nous observons est symptomatique d'une société exposée à un système aussi cruel.

En 1994, beaucoup de personnes espéraient une Afrique du Sud démocratique et économiquement forte, qui jouerait le rôle de stabilisateur sur le sous-continent. Comment voyez-vous  aujourd'hui l'influence de l'Afrique du Sud sur d'autres États africains, en particulier le Kenya ?

Séjournant fréquemment en Afrique du Sud et spécialiste des média, je suis les événements actuels du pays. Lorsque l'Afrique du Sud est entrée sur la scène internationale il y a 25 ans, elle était l'une des économies les plus puissantes d'Afrique avec la promesse d'un avenir meilleur pour tous, et il régnait une véritable euphorie autour de Mandela et ainsi de suite. C'était formidable de le voir et d'en être le témoin, mais il faut aussi être réaliste.

Nous parlons ici d'un pays qui a des siècles d'expérience de la violence et de personnes qui se sont vues refuser la liberté, les droits politiques, les droits de léhomme, etc. De telles pratiques causent un préjudice énorme et irréparable à toutes les sociétés. Compte tenu des relations avec les autres pays africains, je pense que l'Afrique du Sud aurait pu être meilleure, particulièrement en termes d'échanges commerciaux.

Néanmoins, il est important de mentionner qu'il y a beaucoup d'Africain-es originaires d'autres pays qui travaillent dans différentes régions de l'Afrique du Sud, tout comme aussi de nombreux-ses étudiant-es africain-es de diverses disciplines dans les différentes universités en Afrique du Sud. J'ai moi-même travaillé avec des producteurs sud-africains et nous essayons de collaborer dans le cadre de projets. En tant que véritable panafricaniste, je souhaite que les frontières qui existent ne limitent pas nos visions et qu'elles ne suscitent en aucun cas de la haine entre nous, parce que nous sommes toutes et tous né-es en tant qu'humains et Africain-es, avant d'être séparé-es par nos frontières et nos pays.

Selon vous, quels sont les questions et les problèmes les plus urgents en Afrique du Sud, 25 ans après la fin de l´apartheid?

Je pense qu'il y a beaucoup de problèmes, mais j'ai le sentiment que le plus pressant c'est l'inégalité. C'est le plus grand défi auquel l'Afrique du Sud est confrontée. Il faut trouver un moyen de régler ce problème et d'y faire face en tant que pays. L'inégalité est certes un problème d'ordre mondial, mais les violations des droits humains persistent jusqu'à présent en Afrique du Sud, en raison des inégalités créées et exacerbées pendant l'apartheid, comme le résultat de la ségrégation raciale et de la marginalisation.

Tout comme la corruption est un problème majeur en Afrique du Sud, je dirais que les inégalités ont encore une incidence sur la société. Le gouvernement a mis en place quelques programmes visant à réduire les inégalités, toutefois il reste encore beaucoup à faire.

Je pense que c'est l'un des dangers, si nous considérons les tendances actuelles du développement du pays.

Cette interview fait partie de notre dossier Afrique du Sud: 25 ans après la fin de l´apartheid.