La BAD: Entre succès financiers et résultats de développement durable

L’augmentation des investissements d’infrastructure dans le Sud global est en partie menée par les banques multilatérales de développement (BMD) telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Asiatique de Développement, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, la Banque Européenne d’Investissement, la Banque Inter-Américaine de développement, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International.

En 2015, ces banques se sont engagées à de grandes augmentations des flux financiers – passant de milliards à des trilliards de dollars – nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable. Même si les BMD doivent faire des profits dans le but de rester viables, ce n’est pas l’objectif principal de leurs activités. Le cœur de leur mandat est de fournir des financements, des conseils et des recherches aux nations en développement pour appuyer leur développement économique, combattre la pauvreté et protéger la planète. 

 

 
En mai 2017, la Banque Africaine de Développement avait 52 ans. Est-ce une raison de célébrer ? 
En tant que panafricaniste, la BAD m’inspire une impression mitigée : premièrement de la fierté et de l’espoir, sachant que notre banque a muri et fait de bonnes performances – et ensuite de l’anxiété considérant les énormes défis qu’elle et le continent rencontrent. 
 
A quels égards, pensez-vous que la Banque performe bien ? 
En premier, nous devons reconnaitre que la banque est la première institution multilatérale de la région dédiée au financement du développement en Afrique. 
Aujourd’hui, elle comprend 80 actionnaires, incluant 54 pays membres régionaux et 26 pays non membres de la région et s’est établie comme l’une des principales institutions de finance sur le continent. 
L’institution a des bureaux nationaux ou de liaison dans 38 pays africains et deux centres de ressources régionaux à Nairobi et à Pretoria. 
Entre 1967 et 2015, 4.974 opérations d’une valeur totale de 135 milliards de dollars ont été approuvées. La banque est actuellement créditée d’un triple A en notation par les agences internationales de notation, attestant de sa santé financière. 
Ses cinq priorités programmatiques – notamment de renforcer, nourrir, industrialiser et d’intégrer l’Afrique et d’améliorer la qualité de vie des populations africaines, sont en bonne marche. 
 
Où se situent les défis ? 
En tant qu’ancien président de la banque, Donald Kaberuka, disait dans son discours d’adieu en 2015 à Abidjan, que ce n’est pas l’argent qui fournit le développement – mais plutôt les politiques ! Et c’est dans ce sens que la société civile africaine à chercher à intervenir. La société civile africaine fournit beaucoup d’efforts dans la revue publique de la banque dans ses politiques de sauvegarde et ses politiques opérationnelles entre 2009 et 2013. 
D’importants résultats de ce processus incluent une politique de divulgation et d’accès à l’information à travers laquelle la banque a confirmé son ouverture, sa transparence, sa responsabilité et son partage d’information concernant ses opérations, et son Système de Sauvegarde Intégré (SSI), qui est un ensemble de standards sociaux et environnementaux que les clients de la banque doivent respecter pendant la préparation et la mise en œuvre des projets. 
En 2014, la banque a revu son Mécanisme Indépendant d’Inspection pour la deuxième fois à travers un processus de consultation publique, avec des progrès tels que la levée des limitations concernant la prise en charge de demandes en lien avec les projets du secteur privé. 
Même si beaucoup a été accompli, il reste encore du chemin à faire. La mise en œuvre efficace de ces politiques fait souvent défaut du fait du manque de bonne volonté de la banque. 
Aussi, à part les réunions organisées par la banque avec la société civile, nous avons rarement eu des interactions de haut-niveau. 
A la 51ème réunion à Lusaka en Zambie en mai 2016, j’ai même dû menacer de bloquer l’accès au président de la banque Akinwumi Adesin à la salle du Forum de la Société Civile afin que le management de la banque soit d’accord pour une réunion urgente avec moi en tant que membre de la Coalition de la Société Civile à la BAD. Nous sommes encore loin d’une situation basée sur la confiance et le respect. 
 
La stratégie décennale de la banque pour 2013 – 2022, titrée « Au centre de la transformation en Afrique » place le développement des infrastructures au cœur des objectifs de la Banque. En 2015 seule, 48,6% des opérations approuvées sont en infrastructure. Êtes-vous d’accord avec cette priorisation ? 
Considérant que plus de 600 millions d’Africains vivent sans accès à l’électricité, l’eau, un système sanitaire adéquat et autres, le focus de la banque sur les infrastructures est pertinent. 
La question, par ailleurs, n’est pas de savoir « si » mais plutôt « comment ». Par exemple, la banque est meneuse sur des programmes tels que le Programme pour le Développement de l’Infrastructure en Afrique (PDIA), une vision et un cadre stratégique pour le développement d’infrastructures régionales et continentales sponsorisé par les Chefs d’Etat africains en 2012. 
Tous les projets sont guidés par les papiers stratégiques par pays, qui sont censés être développés à travers un processus participatif, incluant la consultation avec les organisations de la société civile. En réalité, les gouvernements sont les seuls que la banque consulte et les seuls à prendre la décision finale. Dans des rares cas, ils invitent les partenaires de la société civile qui leur sont favorables pour avoir leur mot à dire mais sans plus. 
En plus, la société civile reste très critique de la stratégie de la banque sur le secteur de l’énergie qui joue un rôle central dans l’agenda de développement d’infrastructures du continent. Sa politique d’énergie renouvelable est seulement limité à la suppression des obstacles au financement au lieu de la considérer en tant qu’option technologique de préférence. 
A la place, la banque continue d’appuyer des barrages hydrauliques à grande échelle et des centrales d’énergie à charbon sans vraiment considérer leurs impacts sociaux et environnementaux au local. 
 
Pouvez-vous nous donner des examples ? 
La banque a financé une usine à combustion de charbon à Sendou au Sénégal. L’usine est située dans un des sites côtiers les plus vulnérables au changement climatique au Sénégal, vis-à-vis à un port de pêche avec une communauté de plus de 70.000 personnes, et qui permet des moyens de subsistance à plus d’un millier de femmes qui transforment le poisson. Le tout est à l’opposé des politiques environnementales et sociales de la banque, même. 
Notre organisation, Lumière Synergie pour le Développement (LSD), a cherché à avoir accès aux documents du projet et à son équipe de mise en œuvre à la banque à Dakar mais cela n’a pas été facile. 
Après plusieurs années de suivi du projet à Sendou, nous avons finalement déposé une plainte le 9 mai 2016 au Mécanisme Indépendant d’Inspection de la banque pour non-conformité. La plainte a été enregistrée et est en cours. Par ailleurs, cela prend beaucoup de temps. 
Nous attendons depuis un an pour le rapport d’éligibilité qui n’est pas encore sur la table du comité de la banque – irrespectueux des impacts que les populations locales sont en train de subir. 
 
Quelle est votre vision de la banque ? 
Les défis liés au développement de l’Afrique sont immenses, mais je pense que la BAD est un instrument technique et financier capable de les relever. 
De ce point de vue, les fameuses « cinq hautes » priorités de la banque que j’ai mentionnées plus tôt sont l’épitome de la vision de développement du continent. 
 
Pourtant, j’aurais bien souhaité que la banque appuie les Etats membres à développer des politiques favorables aux pauvres et à investir dans des projets en faveur aux zones rurales et pauvres, spécialement dans les secteurs de l’agriculture et de l’infrastructure. 
La banque devrait aussi encourager les états membres à prioriser les projets qui se concentrent sur le transfert de connaissance et de technologie. 
Et enfin, elle devrait efficacement mettre en œuvre ses propres politiques de protection sociale et environnementale et encourager les Etats membres à les appliquer, au lieu de favoriser les systèmes nationaux qui sont pour la plupart obsolètes, faibles ou limités, spécialement en ce qui concerne les relogements causés par de grands projets d’infrastructure. 
 
Je souhaiterais que la banque soit une institution africaine à succès, pas seulement d’un point de vue financier mais aussi social, environnemental et également du point de vue de la transparence, une banque au service de l’Afrique et qui rend compte aux citoyens africains. 
A cet égard, la collaboration avec les organisations de la société civile africaine est essentielle. 
Mais la banque doit encore fournir plus d’effort pour créer et garantir des espaces de participation et de dialogue entre ses managers, ses Etats membres et la société civile à travers le continent. 
 
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Aly Sagne est le président fondateur de Lumière Synergie pour le Développement, une organisation de plaidoyer basée au Sénégal. Il est aussi membre de la Coalition de la Société Civile Africaine sur la Banque Africaine de Développement et est membre du comité de direction de la coalition pour les droits humains dans le développement.